La colère de Paris
Joël Pommerat met en scène de façon spectaculaire la Révolution française en jouant sur l’anachronisme – mais sans convaincre.
dans l’hebdo N° 1377 Acheter ce numéro
Sur la Révolution française, ce ne sont pas les fresques théâtrales qui manquent ! Depuis les lointaines pièces de Romain Rolland et l’historique 1789 d’Ariane Mnouchkine, les tentatives de rendre visible l’explosion théorique et sociale de la fin du XVIIIe siècle se sont multipliées. Aujourd’hui, c’est un écrivain metteur en scène qu’on n’attendait pas sur ce terrain, Joël Pommerat, qui compose sur ces années-là une soirée fleuve, Ça ira (1) Fin de Louis. Plutôt tourné vers les fractures intimes de l’être humain et notre difficulté à vivre dans un monde marchand, Pommerat aborde l’histoire pour la première fois, mais en la conjuguant au présent : les journées parisiennes de 1789 qu’il représente mettent en scène des personnages en costume-cravate, en tailleur fashion ou en treillis de parachutiste.
Le projet est de fuir la reconstitution pseudo-réaliste et de faire entendre des échos prévisibles et imprévus à partir des furieux débats d’hier. Tout se passe d’abord dans l’amphithéâtre de la représentation nationale. Un Premier ministre ne tient pas face à la houle des députés, mais il reviendra. Le président de l’Assemblée canalise comme il peut les courants contraires qui s’affrontent. Les nouvelles de la violence de la rue pénètrent peu à peu : le peuple se révolte, commet quelques meurtres. Les représentants de la nation restent presque tous fidèles au roi et au principe de la monarchie. Mais le fossé se creuse entre les légitimistes et les partisans d’une nouvelle pensée. « Tous les hommes naissent libres et égaux » : celui qui lance cette formule casse des siècles de régime inégalitaire, sans être conscient des conséquences de cette affirmation nouvelle et radicale. Les députés s’époumonent depuis les escaliers du théâtre, parmi les spectateurs. Le peuple en colère finit par entrer en scène, gagnant la tribune de l’Assemblée. Qu’est-ce qu’il réclame ? Le roi, qu’il aime envers et contre tout. Louis comprend un peu tard qu’il lui faut prendre la poudre d’escampette. Dans la dernière image, la politique se transforme en jeu de billard – celui-là même avec lequel les monarques se distrayaient dans leur salon du Louvre. En dehors de Louis XVI et de la reine, les personnages sont tous des oubliés de l’histoire : députés de toutes tendances, membres de clubs politiques, gens de la rue, soldats… Pommerat joue sur l’anachronisme, en place dès la première seconde, amplifié avec des apparitions soudaines de militaires à képi et de paras au béret rouge. Dans cette distorsion où les frontières du temps s’abolissent, la vision de Louis XVI est la plus étonnante : c’est un mondain en smoking, incapable de parler, une sorte de comte de Paris qui ne sait plus s’il est un symbole ou un fantoche.
Cet énorme spectacle, dont la durée de quatre heures et demie semble bien éprouvante, a les qualités de sa troupe : trente acteurs (pas moins !) toujours en effervescence, ne cessant leur agitation que lorsque certaines scènes se jouent à peu de personnages, dans des cadrages glauques et nocturnes. D’aucuns pourront trouver étincelante cette résurrection sans falbalas où le dialogue et le jeu, denses et musclés, nourrissent de très belles scènes. Mais Pommerat se noie quelque peu dans l’ampleur de la tâche, courant trop de lièvres à la fois. Il n’y a pas une vraie lumière nouvelle sur la Révolution, mais une succession sautillante d’éclairages en quête d’une vérité fuyante.