« La Coupe à 10 francs », de Philippe Condroyer : Mèches rebelles
La Coupe à 10 francs, réalisé en 1974 par Philippe Condroyer, met en scène l’esprit de résistance de jeunes travailleurs.
dans l’hebdo N° 1378 Acheter ce numéro
C’est un film tourné en 1974 qui semble avoir été réalisé dans le contexte social d’aujourd’hui. Dans la Coupe à 10 francs, de Philippe Condroyer, étrange petit joyau cinématographique du passé résonnant dans notre présent, on voit des 2 CV, des pantalons patte d’éléphant et des garçons dont les cheveux tombent jusqu’aux épaules, comme cela ne se fait plus guère de nos jours. André (Didier Sauvegrain) est l’un d’eux, qui, avec quelques-uns de ses copains, travaille dans une fabrique de meubles dont le directeur a soudain décrété qu’aucun de ses salariés ne pouvait porter les cheveux longs.
Ceux-ci ne sont pourtant pas les « voyous arrogants » que le patron discerne en eux, qui prôneraient une « licence des mœurs » les entraînant sur « la voie de la pédérastie et de la drogue ». André, en particulier, fils modèle d’une famille vivant en milieu rural, au service d’un comte, amoureux d’une jeune fille sage, Léone (Roseline Villaumé), passe ses heures perdues à peindre. Sa révolte encore juvénile, mais que le cinéaste a d’évidence en sympathie, tient dans le refus de se projeter dans une vie déjà normée, celle de patron qui exploite et humilie ses employés – « tant qu’on vous paye, faites ce qu’on vous dit ». Ou, pire, celle de contremaître aux ordres, qui à l’occasion abuse des femmes travaillant à la fabrique, comme André le découvre fortuitement. Si l’argumentaire du patron semble un peu daté pour un spectateur d’aujourd’hui, il indique à quel point les cheveux longs cristallisent de nombreux fantasmes. Le cinéaste a d’ailleurs joué à plein la dimension emblématique que revêt la chevelure d’André. Ses beaux cheveux blonds symbolisent autant l’esprit de résistance des jeunes que le pouvoir arbitraire et la violence du patron. Une certaine dignité aussi, que « la coupe à 10 francs » chez le peu sympathique M. Jean viendrait annihiler – il n’est qu’à voir ce que la bande de copains pense de l’un des leurs qui, à la première injonction patronale, s’est précipité chez le coiffeur.
À travers cette caractéristique physique – une coiffure –, on ne peut plus visuelle, et le bras de fer engagé à son sujet entre les jeunes et la direction de la fabrique, le film aborde ainsi une somme d’enjeux politiques et sociaux. On note en particulier que le cinéaste n’est pas tendre quant à l’aide qu’André et ses copains pourraient recevoir face à un « ordre » qui n’a rien de légal. Car ceux-ci sont finalement laissés à eux-mêmes, notamment par le délégué syndical, fort en gueule, moins en actes. Toutefois, on aurait tort de s’imaginer un film sec et théorique, concentré sur un message à délivrer, quand on est au contraire frappé par la beauté formelle de nombre de ses plans. Philippe Condroyer, dont c’était là le quatrième long métrage (il n’en réalisera pas d’autre), y laisse aussi passer le souffle de la vie. Grâce à ses comédiens principaux, en particulier Didier Sauvegrain, très convaincant. Grâce aussi à une mise en scène qui n’est jamais appuyée, où, par exemple, les amours d’André et de Léone sont traités avec la même importance – la gravité se mêlant à l’excitation – que les scènes de confrontation dans l’usine. Si le cinéaste s’est inspiré d’un fait divers pour écrire son film, il s’est avant tout attaché à donner une image juste, sans caricature, de jeunes (pas encore majeurs à l’époque) dont l’anticonformisme relève d’une simple aspiration à vivre libre. Il n’a pas non plus éludé combien le monde social pouvait se révéler cruel quand il s’agit de maintenir les hiérarchies établies.