La lutte climatique avant tout
L’interdiction n’empêchera pas la tenue d’une manifestation à Paris, mais elle laissera l’initiative aux mouvements autonomes.
dans l’hebdo N° 1379 Acheter ce numéro
Hors de la Coalition Climat 21, qui regroupe les grandes organisations, plusieurs mouvements n’ont pas tergiversé, après l’annonce de l’interdiction de la marche mondiale pour le climat. Les Désobéissants, le Parti pirate Île-de-France, les objecteurs de croissance et le mouvement autonome, regroupé autour de la plateforme Anti-COP 21, maintiennent leur appel à manifester place de la République, à Paris, dimanche 29 novembre. Beaucoup d’autres mouvements n’appelleront pas à manifester pour ne pas engager leur image, mais seront présents dans les cortèges interdits. Reste que cette interdiction modifie en profondeur la portée de l’événement. Sur le plan symbolique, d’abord, car elle rend plus saillante que jamais une adversité sur le terrain de la lutte climatique, à un moment où la désobéissance civile s’imposait déjà comme un moyen prioritaire d’action. « La volonté de désobéir a toujours existé, mais, ce qui est nouveau, c’est que nous n’avons plus que ce choix-là », observe Benjamin Ball, du collectif des Désobéissants. Beaucoup de militants envisagent donc les choses avec optimisme. La confrontation, ingrédient essentiel de toute action de désobéissance réussie, pourrait décupler la portée de cette marche. « L’objectif d’une action non-violente est de construire un rapport de force tout en respectant l’autre en tant qu’individu. Faire face au conflit est sa démarche fondatrice », analyse Serge Perrin, chargé de mission au Mouvement d’action non-violente (MAN). Les menaces répétées de poursuites judiciaires contre tout participant aux manifestations interdites, réitérées ces derniers jours par les autorités, renforcent cet antagonisme.
Mais, dans le cas présent, l’adversité vient aussi de la menace terroriste. Tout dépendra donc du nombre de personnes disposées à regagner la rue et à braver la peur. Dans la capitale, la marche illégale pourrait fédérer tous ceux qui sont attachés au droit de manifester et devenir une marche de résistance au terrorisme et à son corollaire, l’état d’urgence. « Tous les grands mouvements se sont construits lorsqu’il y avait un danger. Et toutes les actions contre les gouvernements totalitaires sont devenues irrépréhensibles lorsque la foule est massivement descendue dans les rues », note Serge Perrin, qui « espère foncièrement » que les gens viendront nombreux. « Plus les heures passent, plus le fait de consentir à l’état d’urgence apparaît comme absurde », observe Benjamin Ball. Mais la marche de dimanche 29 novembre devra faire face à un troisième défi, déjà pesant avant les mesures d’interdiction, comme avant chaque grand rendez-vous altermondialiste : la violence physique venue de son sein. Les « risques de débordements » sont dans tous les esprits – notamment des journalistes – et contribuent à l’agacement des militants du mouvement autonome, qui n’a pas vocation à combattre la constitution de groupes violents dans les cortèges, les fameux « blacks blocs ».
Les convois, partis des quatre coins de France, ont prévu de se « dissoudre » samedi après-midi lors d’un pique-nique sur la place Denfert-Rochereau, à Paris, pour ne pas être associés en tant que mouvements aux événements du lendemain, jour de la grande manifestation. La veille, ils devaient converger sur les terres d’un agriculteur promises à la bétonisation sur le plateau de Saclay (Essonne), « sans objectif de confrontation ». Sur demande des autorités, l’agriculteur a annulé son invitation. Les convois maintiennent leur mot d’ordre. Ils sont toutefois unanimes pour dénoncer par anticipation le risque de « provocations policières ». Que ce soit par la présence dans le cortège de policiers déguisés en manifestants ou la formation de barrages « vécus comme une provocation », juge Serge Perrin, en référence aux violences survenues à Nantes en février 2014 à la suite d’un changement de parcours imposé en dernière minute. « Il y a évidemment des individus qui veulent aller à la castagne, mais ils sont extrêmement minoritaires », ajoute-t-il. Les militants de la désobéissance civile font aussi valoir leur expérience de la confrontation avec quelques certitudes sur les règles à respecter : privilégier de petites actions bien organisées plutôt que des grandes manifestations dans lesquelles des blocs violents peuvent se dissimuler ; s’asseoir ou s’écarter pour isoler les individus violents, voire les montrer du doigt pour « jeter l’opprobre » sur eux. Ils n’ont que quelques heures et peu de présence médiatique pour diffuser leurs méthodes.