La société civile juge les «grands projets inutiles et imposés»
Du 5 au 8 novembre, un tribunal citoyen jugera à Turin plus de dix projets d’infrastructures contestés, dont celui de la ligne ferroviaire Lyon-Turin et celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Ce n’est pas un procès comme les autres. Du 5 au 8 novembre, les projets de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin et d’autres projets d’infrastructures qualifiés «d’inutiles et imposés» par leurs détracteurs seront examinés par les juges du Tribunal Permanent des Peuples (TPP). Ce tribunal d’opinion, organisation de la société civile, n’a aucun pouvoir pénal, mais il s’appuie sur le droit et des textes internationaux pour juger de possibles infractions aux droits de l’Homme et droits démocratiques. (Lire notre dossier sur le sujet, prochainement dans Politis.)
C’est devant cette organisation que l’Association Controsservatorio Valsusa, soutenue par le mouvement No TAV, a déposé en 2014 une plainte contre les promoteurs du projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. Partant de cette démarche, le TPP à ouvert ses investigations à d’autres projets d’infrastructures contestés. Du projet de ligne à grande vitesse au Pays Basque à la nouvelle Gare de Stuttgart, les juges se pencheront sur les processus de mise en place de plus de dix projets, dénoncés comme imposés aux populations concernées. Entretien avec le président de l’Association Controsservatorio Valsusa, Livio Pepino.
Qu’attendez-vous des audiences à venir ?
Livio Pepino : Il s’agit pour nous de dénoncer le processus d’imposition du projet de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin. Certes, même s’il y a condamnation, ce ne sera pas suivi de sanctions. Mais un constat de violation des droits, reposant sur des textes juridiques, des déclarations et conventions internationales, passera à l’opinion publique. Ça permettra de s’extraire de la controverse politique en s’appuyant sur la légitimité du droit. On veut transmettre l’idée que si le monde politique ne nous écoute pas, si on nous attaque en justice pour avoir fait acte de résistance, nous aussi, nous pouvons nous emparer du droit pour nous défendre, utiliser cet outil dans notre lutte.
Pourquoi avoir déposé plainte auprès du Tribunal Permanent des Peuples ?
Nous avons fait appel au Tribunal Permanent des Peuples parce que cette organisation fait valoir les grands droits politiques des citoyens qui ne sont pas pris en compte dans le système légal classique, bien qu’énoncés dans des conventions et déclarations internationales. Par ailleurs, en examinant ensemble plusieurs cas de grands projets, la session du TPP nous permet de souligner la multiplication de cas similaires en Europe, et la violation systématique des droits démocratiques des populations concernées. Ce système d’imposition, qui s’exerçait jusqu’à présent dans une logique «néocoloniale», en Asie, en Afrique ou en Amérique latine, se pratique désormais en Europe, dans le cadre de ce que nous appelons les «Grands projets inutiles et imposés».
Comment définissez-vous ces «grands projets inutiles et imposés» ?
Il y a trois constantes. D’une part, le principe de participation du public au processus décisionnel, tel que défini par la convention d’Aarhus, signée notamment par l’Union Européenne et les États Membres de l’UE, est bafoué. Il n’y a pas d’écoute et d’accord des populations. D’autre part, nous dénonçons dans tous ces cas une diffusion de mensonges sur la nécessité de ces projets par la manipulation des données économiques, statistiques. En comparaison, les techniciens de Volkswagen sont de petits écoliers. Nous dénonçons cette manipulation depuis des années dans le cas de la LGV Lyon-Turin, mais le pouvoir politique ne nous écoute pas. Enfin, il y a une substitution du dialogue par une occupation policière des territoires concernés. Toutes ces pratiques se retrouvent dans les «Grands projets inutiles et imposés». Nous voulons introduire cette « catégorie » dans le débat public, dans les médias, dans la sphère politique, que la généralisation de cette logique d’imposition soit reconnue.
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