« Le présent infini s’arrête », de Mary Dorsan : Délicatesse
Un roman-récit de Mary Dorsan sur le quotidien de jeunes psychotiques.
dans l’hebdo N° 1376 Acheter ce numéro
Chacun sa folie. Thierry étale ses excréments et son sang sur ses draps et les murs de sa chambre et des toilettes… Romuald a des trous d’air qui l’arrachent à la réalité. « Il cherche alors, dans le regard des autres, des indices mais ne lit que la même confusion qui l’angoisse. » Sauf que, « mutuellement, ils s’épargnent », précise ce roman-récit de Mary Dorsan sur les jeunes malades mentaux d’un appartement thérapeutique. « Ils ne se moquent pas les uns des autres, c’est leur délicatesse. » Et cette délicatesse arrive comme une corde à laquelle se raccrocher. Car on perd vite pied à découvrir l’ampleur des maux et la déstructuration mentale et physique. C’est à se demander comment cette délicatesse parvient à surnager, et surtout pourquoi.
Cet élan de solidarité sonne à la fois comme une bonne et une mauvaise nouvelle : si ces jeunes gens n’épargnent pas leurs infirmières et aides-soignants, c’est peut-être parce qu’ils saisissent qu’il y a eux, les malades, et les autres. Deux mondes. « Son père est moins patient que l’infirmière. L’adolescent a moins peur ici. Les soignants n’ont pas l’air affolés par ces épisodes. Au collège, c’était une autre affaire. Ses enseignants paniquaient ou criaient quand il n’arrivait plus à lire ou écrire. Lui-même était terrifié. » Les soignants font tout ce qu’ils peuvent pour tendre des passerelles. Ce livre aussi, qui, par la voix de l’une d’entre eux, observe et comprend ce qui se passe à l’intérieur de ces têtes, et dehors, où l’on parle « échelle des risques », « violence », « traumas », père qui bat, mère qui déteste, parents qui récupèrent en août… Mary Dorsan se concentre sur les activités et les gestes : prendre une tasse, fermer une porte, regarder par la fenêtre les gens qui marchent, les pigeons qui s’éparpillent… Comme pour s’attacher à tout ce vivant qui n’est pas mental. Ça rassure. Ça apaise.