« Le Retour au désert » : Tragicomédie algérienne

Arnaud Meunier monte *le Retour au désert,* de Bernard-Marie Koltès. Une comédie peu jouée jusqu’alors, forte critique de la bourgeoisie des années 1960.

Anaïs Heluin  • 4 novembre 2015 abonné·es
« Le Retour au désert » : Tragicomédie algérienne
Le Retour au désert , les 9 et 10 novembre au Grand R, à La-Roche-sur-Yon (85) ; le 13 au Théâtre Jean-Vilar, à Vitry-sur-Seine (94) ; les 18 et 19 au NEST-CDN, à Thionville-Lorraine (57). Tournée sur www.lacomedie.fr.
© Sonia Barcet

Avec son mélange singulier de réalisme et de mythe, l’écriture de Bernard-Marie Koltès (1948-1989) n’a jamais cessé de fasciner. Pour preuve, son importante présence sur les scènes françaises cette saison. Roland Auzet reprend aux Bouffes du Nord Dans la solitude des champs de coton, créé en mai dernier à Lyon, et Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence, monte Roberto Zucco.

À la tête de la Comédie de Saint-Étienne, Arnaud Meunier surprend davantage. Dans la continuité d’un travail sur les rapports franco-algériens entamé auprès de la compagnie El Ajouad de Kheireddine Lardjam en 2002, année de l’Algérie en France, il met en scène un texte assez méconnu de Koltès : le Retour au désert, comédie écrite en 1988 et située pendant la guerre d’Algérie. Intérieur-extérieur. Nuit. Sur une pelouse trop verte qui grignote l’intérieur d’un salon bourgeois, une femme avance, l’air lointain. Dans le rôle de Mathilde Serpenoise, Catherine Hiegel se fond d’emblée à l’étrangeté de la scénographie conçue par Damien Caille-Perret. À son style intemporel, qui n’évoque en rien la « ville de province, à l’est de la France, au début des années 1960 » où se déroule la pièce, mais est fidèle à la conception koltésienne de l’espace scénique. Avec sa voix cassée, profonde, et son jeu ambigu, la comédienne longtemps emblématique du Français entre à peine sur scène qu’elle semble déjà sur le point d’en sortir. Malgré les deux fauteuils en cuir installés derrière une grande baie vitrée, le plateau de ce Retour au désert n’est pas un lieu où il fait bon se reposer. C’est un entre-deux. Une parenthèse entre un passé trouble et un nouveau départ qui ne peut guère être pire. Mathilde revient d’Algérie, où elle a vécu plus de quinze ans. Derrière elle, ses enfants, Édouard (Cédric Veschambre) et Fatima (Nathalie Matter). La pelouse qu’ils foulent dès la première scène est celle de la maison dont a hérité Mathilde, où s’est installé son frère, Adrien (Didier Bezace), avec son fils, Mathieu (René Turquois). Retrouvailles mouvementées. D’anciens non-dits éclatent en des empoignades quasi vaudevillesques. On apprend par exemple que, si Mathilde s’est exilée, c’est parce qu’on l’accusait d’avoir eu des rapports intimes avec l’ennemi, pendant la guerre. Tout en exhumant ce passé douloureux, Adrien, membre de l’OAS, prépare un attentat dans un café arabe.

Le Retour au désert occupe dans l’œuvre de Koltès une place à part : pleine d’un humour noir qui porte une forte critique de la bourgeoisie de province de l’époque et des rapports de la France avec l’Algérie, c’est sa seule comédie. Par ce texte, le dramaturge souhaitait toucher un public plus large et s’éloigner du théâtre subventionné où il avait toujours été joué, dans les fameuses mises en scène de Patrice Chéreau. Résultat : un texte qui traite de la guerre d’Algérie comme rarement un auteur français l’a fait. Avec distance, sans manichéisme. Arnaud Meunier assume le tragicomique de la pièce. Son décor typiquement koltésien est un écrin idéal pour accueillir les cachotteries des Serpenoise. Et pour évoquer l’ailleurs en guerre d’où vient Mathilde, et où finira par retourner. Avec son frère. Hélas, une distribution inégale affaiblit la portée du texte et de la mise en scène. Face à Catherine Hiegel, Didier Bezace n’a rien du « monstre sacré » qu’Arnaud Meunier évoquait dans sa présentation du projet. Il aurait dû faire écho au mystère de sa compagne de scène, il lui renvoie un jeu sans nuances ni profondeur. Le reste de la distribution est à l’image du couple central : contrasté. On ne peut cependant que se réjouir de réentendre cette pièce, absente des scènes nationales depuis 2007.

Théâtre
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