Nous, sans arme et sans haine
Nous ce sont les précaires, ceux qui font la manche, les rejetés de la société, ceux qui triment à bouffer et à dormir au chaud… Nous, les désespérés, mais pas les désespérants… Notre regard sur les attentats…
Ils pourraient aussi être les premiers influencés par la fachosphère qui dégouline depuis trop longtemps jusque sur nos trottoirs. Certains parfois, faute d’information, ont pu, à un moment donné, se laisser entraîner dans des mouvements confus. Mais ils sont vite revenus, une fois avertis, dans le monde des vivants.
Le déterminisme social bourdieusien auquel je crois réellement pourrait pourtant nous faire penser que les personnes en situation précaire sont les plus fragiles et influençables. Cette expérience au sein de l’atelier d’écriture me fait relativiser mes acquis sociologiques. Ici, on vit tellement la rue, tellement la société de consommation, qu’on la rejette, sans aucune jalousie ni honte. On plaint plutôt ceux qui sont encore dedans, on n’envie personne… On préfère une vie sans chaîne et sans argent…
Alors, on ne hait pas, on lutte pour changer le monde mais sans arme… si ce n’est celle de la conviction…
Changer le monde ce n’est pas le faire exploser, c’est l’éduquer. Fred explique que la notion d’appartenance et de propriété est une notion de servitude. Morshen parle d’amour plutôt que d’argent… De choses qui n’ont pas de prix, qui ne se comptent pas… Chris parle de la liberté, de ce besoin de se défaire des autres pour se connecter à soi-même. Romain explique se besoin de se libérer du regard de l’autre, de n’avoir que pour unique carcasse, loin des vêtements, des murs, et des objets, sa crête sur la tête et ses rangers aux lacets rouges…
Lutter contre le capitalisme n’est pas une religion, une guerre, une secte… Les malades mentaux de vendredi soir ne sont rien de tout ça, ne font plus partie depuis longtemps du monde des vivants.
S’ils parviennent à manipuler les âmes en errance, ils ne touchent pas le monde de la rue, pourtant en colère contre la société.
Il semblerait que les copains de la rue soient encore trop habités par l’envie de vivre, de s’en sortir et d’y croire…
Je me souviens d’une fois, sur une terrasse d’un café ou deux d’entre eux m’ont raconté combien un imam bien mal réputé avait tenté de les amadouer. Et combien, ils étaient parvenus à le faire fuir, le prévenant que s’il continuait ses propos radicaux, ils le tueraient sauce hallal. On avait ri, à ce moment-là, mais on s’était interrogés sur cette radicalisation qui venait envahir nos rues.
Mais pour survivre à la solitude, au froid, au manque, à la faim et à la peur, à un destin terrible bien souvent depuis l’enfance, il faut être fort.
C’est certainement pour toutes ces raisons-là que les copains de la rue ne tombent pas du mauvais côté… parce que malgré un mauvais accès à l’information, au peu de temps qu’ils ont pour penser à autre chose qu’à leur peau, les hommes et femmes de la rue ne désespèrent pas, et ont foi en l’humanité…
Les barbares ne les auront jamais à leur côté, il faut être trop faible pour ça…
à la rue, on se soulève, on s’insurge, on crie, on boit … On hurle de colère, jamais de haine… On a la rage et la joie..
On lutte sans arme… et sans autre victime que soi-même…
La preuve en est, les Restos du coeur, avec la mise en place de l’état d’urgence, n’ont plus le droit de distribuer de plats chauds dans la rue, alors que l’hiver est en train de tomber…
Malgré tout, les marchés de Noël, les matches de foot eux sont maintenus… Une question de business, encore une fois…
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don