Agir sans élus
Dans le Nord et en Paca, le PS et la gauche, privés de conseillers régionaux, vont devoir trouver comment exister sur les dossiers locaux.
dans l’hebdo N° 1382-1384 Acheter ce numéro
L’heure est aux cartons dans les couloirs des conseils régionaux de Marseille, de Lille et d’Amiens. Le séisme politique provoqué par les scores historiques du Front national au premier tour des régionales a secoué la France du nord au sud. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, en plein accord avec l’Élysée et Matignon, a rapidement annoncé le retrait des listes socialistes en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Nord-Pas-de-Calais/Picardie. Même sentence pour la région Grand Est, mais le candidat socialiste Jean-Pierre Masseret n’a pas suivi les consignes de Solférino. Dans une lettre adressée aux adhérents de ces régions meurtries, le 10 décembre, Jean-Christophe Cambadélis les remerciait de leur « sens du devoir » et de leur « sacrifice ». Mais après une telle gueule de bois, qui ne se guérit pas à coup de placebo, la seule question est : « Et maintenant, que vais-je faire ? »
La tactique du PS a porté ses fruits puisque la digue contenant la vague Bleu Marine a tenu bon. Mais, dans les faits, le constat est douloureux : la gauche sera absente des décisions régionales pendant six ans. Plus long qu’un mandat présidentiel. « Le paysage politique a complètement explosé. C’est un immense chantier qui nous attend pour continuer à exister en région, commente Martine Filleul, secrétaire de la fédération PS du Nord. Dans les semaines à venir, nous devons discuter, analyser, réfléchir ensemble pour savoir comment agir dans les prochaines années. » L’idée d’un cabinet fantôme à l’anglo-saxonne fait son chemin dans le Nord. Depuis 1986, hormis l’intermède Marie-Christine Blandin (Verts), la Région est présidée par les socialistes. Ils sont donc nombreux à connaître les dossiers et à avoir les clés pour garder un œil sur les futures actions de Xavier Bertrand, vainqueur avec 57,8 % des voix face à Marine Le Pen.
« Décider de se retirer des élections, c’est aussi accepter de perdre le contact direct avec la Région, reconnaît Laurent Matejko, conseiller régional sortant du Parti de gauche et candidat sur la liste Rassemblement NPDCP. On aura encore de la visibilité sur certaines politiques publiques comme les transports, car les syndicats et les associations d’usagers communiqueront beaucoup. En revanche, il sera sûrement plus difficile de connaître l’état des décisions concernant les associations ou la culture, car, si le nouveau conseil régional coupe certaines subventions, cela se saura au compte-gouttes et nous ne pourrons rien anticiper. » À l’annonce des résultats, Xavier Bertrand a remercié les électeurs de gauche « qui ont voté pour faire rempart ». Tout comme Christian Estrosi, gagnant en Paca face à Marion Maréchal-Le Pen avec 54,8 % des voix. Il s’est engagé à mettre en place un conseil territorial annuel dirigé par des anciens présidents de la Région, dont le socialiste, Michel Vauzelle, à sa tête pendant dix-huit ans. Jean-Marc Coppola, n° 2 sur la liste Europe Écologie-Les Verts/Front de gauche, préfère prendre les devants en proposant un « conseil régional coopératif » : « S’il tient sa promesse et que ça me laisse une tribune, j’irai, mais je ne me fais aucune illusion. Je veux un espace libre, ouvert à tous pour critiquer, proposer et reconstruire un vrai projet de gauche. Les socialistes ont choisi de capituler, pas moi. »
Ce lieu de contre-pouvoir citoyen, véritable vigie, ressemble au Forum républicain créé à Fréjus après l’élection municipale remportée par le frontiste David Rachline. Elsa Di Meo (PS) s’était résignée à se retirer au second tour des municipales pour contrer le FN, mais sans abandonner le travail sur le terrain. « Nous assistons aux conseils municipaux, nous étudions tous les rapports, nous commentons les décisions via les réseaux sociaux et des tracts distribués à la population », décrit-elle. Cependant, veille permanente et action de terrain risquent de s’avérer plus difficiles à mettre en œuvre au niveau d’une région que dans une commune. Pour le moment, aucune ligne de conduite n’a été communiquée par le PS. Mais, au-delà du suivi des projets locaux, c’est une « reconquête » des électeurs qu’il faut mener, car la présidentielle de 2017 hante déjà les esprits. Les élus de Briançon n’ont pas digéré le retrait orchestré par leur direction nationale et ont décidé de rendre leur carte du PS. « C’est une action symbolique pour marquer notre ras-le-bol, clame Vincent Faubert, secrétaire de section du Pays briançonnais. Pour Solférino, nous sommes juste bons à distribuer des tracts ! Mais nous continuerons notre travail de terrain et, depuis que nous sommes sans étiquette politique, nous avons beaucoup plus de soutien ! »