Après les régionales, la gauche au pied du mur

Loin de marquer un rééquilibrage, le second tour des élections régionales consacre une nouvelle victoire de la droite, qui accroît son emprise sur le pays, et menace la gauche de disparition.

Michel Soudais  • 16 décembre 2015 abonné·es
Après les régionales, la gauche au pied du mur
© Photo : Les larmes d’une militante socialiste au soir du premier tour, à Lille, dans la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie. HUGUEN/AFP

Les défaites se paient cash et sur la durée. Sitôt les bureaux de vote refermés, les réactions et les commentaires politiques des élections régionales ont vite oublié l’objet du scrutin pour se focaliser sur… le coup d’après. Soulagés par le sursaut de participation électorale et l’échec du Front national à gagner des présidences de région, les commentateurs n’ont pas plus évoqué qu’ils ne l’avaient fait durant la campagne les conséquences concrètes de ce scrutin pour les cinq ans à venir. Car les nouvelles assemblées élues ce 13 décembre vont se trouver à la tête de pouvoirs accrus, avec des budgets augmentés. Et cela dès le 1er janvier.

C’est à cette date que le gouvernement a prévu de rendre effective la réforme des territoires, voulue par François Hollande, dont deux volets touchent directement les régions : la loi relative à leur délimitation et surtout son corollaire, et celle portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui leur confie une compétence exclusive en matière économique (aides directes aux entreprises, formation professionnelle…) ainsi que l’aménagement durable du territoire. Sans oublier le pilotage des transports collectifs routiers, y compris scolaires, et ferroviaires, en dehors des agglomérations, la gestion des ports et des aéroports. Ce ne sont pas les seuls domaines dans lesquels les régions interviennent (construction, entretien et fonctionnement des lycées, culture…). Elles disposent pour cela de budgets importants (30,2 milliards en 2015, que l’État a prévu d’abonder de 3,9 milliards par an à compter de 2017) et, depuis 2014, de l’autorité de gestion des fonds européens. Les résultats des élections des 6 et 13 décembre vont donc d’abord impacter la vie quotidienne et économique de la population, et jusqu’en mars 2021, avant d’avoir des conséquences sur les formations politiques. À cette aune, la droite est la grande gagnante du scrutin : elle se retrouve à la tête des régions les plus peuplées, totalisant 43 millions d’habitants contre 20 millions pour celles qui restent à direction PS, et les plus riches ; le total des PIB régionaux des territoires passés à droite est presque trois fois supérieur à celui des régions PS (1 235 milliards d’euros d’un côté, 456 de l’autre). Pourtant, c’est une autre lecture du scrutin que l’on voudrait nous imposer.

Cinq à sept ! Le résultat des élections régionales, exprimé ainsi en nombre de régions gagnées par l’un et l’autre camp sur toutes les antennes, est trompeur. Il n’y aurait pas de véritable vainqueur, et donc pas de véritable perdant, mais un « ré-équi-li-brage ». Cette lecture, qui tend à faire croire que tout peut continuer comme avant, est invalidée par les données brutes de l’élection. Le « bloc de gauche » est passé en cinq ans de 54 % à 32,1 %. Il avait 1 120 élus métropolitains et n’en a plus que 545, soit la moitié de son contingent de 2010, et pour la première fois, plus de représentation en Paca et dans le Nord-Pas-de-Calais/Picardie. Le « bloc de droite » tire profit du désistement en sa faveur du PS dans ces deux régions, ainsi qu’en Alsace/Champagne-Ardenne/Lorraine, où Jean-Pierre Masseret s’est néanmoins maintenu (15,5 %, 19 élus) : il totalise 40,2 % contre 35,4 % en 2010, et passe de 511 à 780 élus. La plus forte progression revient toutefois au Front national qui, avec 27,1 % contre 9,2 % au second tour de 2010, augmente fortement son nombre d’élus (358 contre 108), avec une présence dans tous les conseils régionaux. Face à cette « tripartition » du pays, et alors que Les Républicains, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qui a symboliquement éjecté Nathalie Kosciusko-Morizet de la direction de LR et promu à sa place Laurent Wauquiez, semblent opter pour une radicalisation à droite, le PS ne cache plus son intention de constituer un bloc central. C’est le sens de L’Alliance populaire, dont le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a annoncé le lancement mi-février. Ce « nouveau mouvement », qui vise au « dépassement du PS », ne sera « pas un nouveau parti » mais une « fédération de partis, de mouvements associatifs », associant largement les citoyens autour d’un texte fondateur. Mais ce Meccano constitué d’ « un accord de rassemblement le plus large possible » dans la perspective de la présidentielle, où il s’agit d’assurer la qualification du candidat du PS au second tour, ne portera aucun changement de cap. Le patron du PS, qui avait demandé dimanche soir une « inflexion » de la politique gouvernementale, a précisé le lendemain qu’il appelait à « concentrer  [les] efforts sur le précariat » pour assécher « l’abstention et par ailleurs le vote FN ». « Il ne s’agit pas de changer de politique économique », a-t-il clarifié, tout virage à gauche étant exclu par Manuel Valls. Pour le Premier ministre, « municipales, départementales et maintenant régionales montrent qu’il n’y a pas d’appétence pour davantage “d’aile gauche” », indique-t-on dans son entourage.

Ce projet de dépassement, qui n’est pas sans rappeler le processus qui avait conduit en Italie à la disparition de la gauche et à la création du Parti démocrate, met la gauche au pied du mur. Or, le Front de gauche, qui s’était constitué pour empêcher cette évolution de la social-démocratie, sort en lambeaux des élections régionales. Il ne compte plus que 39 conseillers régionaux dans quatre régions seulement, si l’on exclut de ce décompte deux communistes présents dès le premier tour sur la liste socialiste de Jean-Yves Le Drian. Au lendemain du scrutin, toutes ses composantes admettaient la décomposition de leur alliance, mais l’accord est loin de se faire sur les moyens de relancer une gauche digne de ce nom. Quant aux écologistes d’Europe Écologie-Les Verts, avec lesquels certains envisageaient de s’allier, ils ne sont guère plus vaillants : leurs 265 élus de 2010 ne sont plus que 62, dans sept régions. Et c’est désormais à François Hollande que Cécile Duflot, approuvée par Emmanuelle Cosse, « tend la main » pour bâtir une « coalition de transformation ». Comme en 2012. Une perspective régressive.

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