Das Kapital : Une note de rouge
Depuis bientôt quinze ans, Das Kapital invente une musique engagée et libre.
dans l’hebdo N° 1382-1384 Acheter ce numéro
Il n’y a que Das Kapital qui puisse sortir un album intitulé Kind of Red (« quelque chose comme du rouge ») Fondé en septembre 2001, le trio franco-germano-danois revendique une démarche artistique autant que son inscription au cœur de l’actualité. Ce n’est pas parce que la musique est éphémère et abstraite qu’il faut s’abstenir de lui faire porter un message politique, disent en substance Daniel Erdmann, Hasse Poulsen et Edward Perraud.
Respectivement aux saxophones (ténor et soprano), à la guitare – parfois augmentée d’un chant abrupt et chaud – et à la batterie, les trois complices situent leur musique dans la filiation du jazz : « On n’a pas les mêmes racines, mais on reste dans l’esprit du jazz. C’est une musique d’expression nourrie d’une énergie politique », explique Daniel Erdmann. Et puis il y a ce « bricolage dans la musique », cet « aspect humain » qui doit rester au-delà de l’exigence artistique : il faut que ça déborde, que ça frotte. « Garder l’esprit ouvert sur l’imprévu », résument-ils. À partir d’un coup de foudre entre trois musiciens aux parcours bien différents s’est construit un espace partagé, intime et franc. Question de confiance : pouvoir se permettre d’être soi-même en permanence sans essayer de plaire. En d’autres termes, pas de « sur-jouage », comme on dit dans le jargon. Du jazz, donc, musique de contrastes et d’indépendance : exubérante, sobre, amère, drôle, expansive, émotive, vive, lucide et sombre. Du jazz ancré dans l’histoire. « Ne pas seulement se dépasser techniquement, mais aller au-delà de la musique, précise Erdmann. Essayer de raconter quelque chose qui touche les gens. » En 2009, Das Kapital commence un travail au long cours sur les compositions de Hanns Eisler, jeune révolutionnaire dans le Berlin des années 1920, qui collabora longtemps avec Bertolt Brecht. En 2012, avec Das Kapital Loves Christmas (Das Kapital Records), ils offrent « une sorte de cadeau de Noël à ceux qui n’aiment pas Noël ». En cette triste fin d’année 2015, Kind of Red est une sorte de concentré de l’esprit Das Kapital.
Musicalement, on est dans la parfaite articulation post-free d’univers stylistiques aussi distincts que le rock, le folk, la country, voire le bluegrass et l’improvisation libre, avec toujours l’élément swing. On pense à Ornette Coleman, à Charlie Haden, à Ennio Morricone… Bref, « on essaie de dire des choses sans tomber dans le pathos ; on sait tous qu’il n’y a pas de vérité absolue » : Kind of Red, donc.