Front national : une dynamique indiscutable

Contrairement à ce qu’avancent certaines analyses rassurantes sur le Net, le niveau de l’abstention n’a pas beaucoup d’impact sur celui du vote FN.

Michel Soudais  • 16 décembre 2015 abonné·es
Front national : une dynamique indiscutable
© Photo : Une partie des électeurs ayant voté pour l’extrême droite n’avait pas voté Marine Le Pen auparavant. Afanasyeva/RIA NOVOSTI/AFP

Le second tour des régionales devrait cette fois doucher ceux qui, dans l’entre-deux tours, relativisaient encore la poussée du Front national. Un visuel mis en ligne sur Facebook le 8 décembre et partagé plus de mille deux cents fois mettait ainsi en rapport le nombre de voix obtenues par les listes FN le 6 décembre (6 018 775, soit 13,29 % des inscrits) et celles qui s’étaient portées sur Marine Le Pen à la présidentielle (6 421 426, soit 13,94 % des inscrits) pour en tirer cette conclusion : « 86 % des Français refusent toujours de mettre un bulletin FN dans l’urne […]. Arrêtons la psychose. Le FN ne monte pas. »

Rassurante, cette « vérité sur les chiffres », qui prétendait que « ce sont les Républicains et les démocrates qui s’abstiennent », reposait toutefois sur un « raisonnement fallacieux », nous expliquait le politiste Joël Gombin avant le second tour. D’abord parce qu’il « compare des élections qui ne sont pas comparables, avec des niveaux d’abstention radicalement différents ». Et surtout parce qu’il « considère que les 6 millions de voix obtenues le 6 décembre sont un sous-ensemble des 6,4 millions de voix de Marine Le Pen à la présidentielle ». Or, pour ce spécialiste du vote FN, universitaire doctorant à l’université de Picardie Jules-Verne d’Amiens, « une partie de ces 6 millions sont des gens qui n’avaient pas voté pour elle auparavant ». Un simple examen des résultats permettait de s’en rendre compte. Dans le Nord-Pas-de-Calais/Picardie, la présidente du FN a rassemblé 909 035 voix le 6 décembre, contre 783 156 au premier tour de la présidentielle ! Idem en Paca, où 719 746 voix se sont portées sur Marion Maréchal-Le Pen au premier tour contre 650 336 sur sa tante en 2012. Mais également en Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées, où Louis Aliot a recueilli 653 573 suffrages quand sa compagne en avait eu 644 965. Le second tour n’a pas démenti cette vision mouvante, et en l’occurrence dynamique, du vote FN. Avec 6 820 147 voix, l’extrême droite fait mieux qu’à la présidentielle, malgré une participation électorale nettement moindre, et rejoint un niveau jamais atteint, avec 15,23 % des inscrits. D’un tour à l’autre, alors que la participation a fortement augmenté, le FN gagne des voix dans toutes les régions, hormis l’Île-de-France et la Corse : 106 614 voix supplémentaires dans le Nord, 148 907 dans le Grand-Est, 166 401 en Paca, 172 450 en Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées…

« En nombre de voix, le FN progresse donc bien, souligne Joël Gombin, auteur d’un chapitre sur les géographies électorales du FN depuis 1992 dans l’ouvrage collectif les Faux-Semblants du Front national (Presses de Science Po), publié début octobre sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Mayer. Toute la question est de savoir ce qui va se passer quand on reviendra à une participation électorale de 75 ou 80 %. » Le chercheur formule deux hypothèses : « Soit, par miracle, tous ces abstentionnistes ne sont pas frontistes, soit ils votent comme les autres, et dans ce cas nous aurons de sacrées surprises. » Même en l’absence de véritables études sur les abstentionnistes, par nature difficiles à cerner, le chercheur ne voit « pas de raison de penser que ceux qui s’abstiennent ont un comportement différent de ceux qui votent ». Avant les européennes de mai 2014, l’Ifop avait demandé à un échantillon de 1 638 personnes ayant indiqué avoir l’intention de s’abstenir ce qu’elles voteraient si le vote était obligatoire. Les résultats obtenus étaient très proches du résultat du scrutin.

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