Pourquoi sommes-nous tombés si bas ?

On assiste à l’ébauche d’une recomposition qui ressemble fort à une tentative historique de liquidation de la gauche.

Politis  • 9 décembre 2015 abonnés
Pourquoi sommes-nous tombés si bas ?

Ne faisons pas semblant d’être étonné. La forte poussée du Front national, dimanche, au premier tour des régionales, ne devrait être une surprise pour personne. Tout l’annonçait : une actualité anxiogène où se confondent terrorisme, mouvements migratoires, islam, et engagements de la France dans des conflits au Moyen-Orient et en Afrique. Le tout sur fond de chômage reparti à la hausse. Il ne s’agit évidemment pas de nier la réalité. Les massacres du 13 novembre nous ont cruellement rappelé que nous appartenons à un monde tragique qui n’est plus seulement celui des « autres ». Mais, dans cette situation, c’est peu dire que l’exécutif n’a pas cherché à apaiser les esprits.

Du matin au soir, on nous répète que « nous sommes en guerre ». Tandis que les médias jouent leur rôle d’amplificateur. On ne compte plus les unes sur le Coran, le jihad, les réseaux qui ne dorment que d’un œil, jusque chez notre voisin de palier… Les uns en parlent avec l’intention affichée de produire de l’amalgame et de la peur, les autres font mine, plus ou moins sincèrement, de le dénoncer. Sans parler des unes sur Marine Le Pen. Et, finalement, tout fait corps. Les ventes sont excellentes, et les cotes de popularité remontent. Hélas, pendant ce temps-là, en profondeur, un informe magma de fantasmes identitaires finit par se solidifier au cœur de notre société. Nul doute que ces dernières semaines ont offert au Front national une détestable plus-value. Mais il faut évidemment remonter plus haut pour comprendre vraiment ce qui nous arrive. Ce qui fait que les socialistes sont empêtrés pathétiquement dans leurs choix tactiques d’entre-deux tours renvoie à des causes plus anciennes. À force d’erreurs ou de fautes, il arrive un moment où la catastrophe devient inévitable. C’est, comme dans la Haine, le film de Mathieu Kassovitz, l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages et qui se répète à chaque étage : « Jusqu’ici, tout va bien. » Ce n’est pas la chute qui compte, c’est l’atterrissage. Depuis dimanche, nous commençons à atterrir. Mais il ne sert à rien de se demander ce que nous aurions dû faire en passant devant le trentième étage. Il aurait été préférable de ne pas tomber.

Pourquoi sommes-nous tombés ? Pour quelles raisons, entre mars 2010, date des dernières régionales, et ce mois de décembre 2015, le FN a-t-il gagné quatre millions de voix ? Que s’est-il passé au cours de ces cinq ans et huit mois ? Qui a gouverné ? On connaît la réponse : la droite et Nicolas Sarkozy pendant deux ans ; puis le Parti socialiste et François Hollande pendant plus de trois ans et demi. Et quelles politiques ont été menées ? Les mêmes, à peu de chose près. La gauche est même allée un peu plus loin que la droite dans la voie libérale, jusqu’à s’attaquer au code du travail. Et elle lui a emprunté le discours identitaire, tandis que la droite collait elle-même au Front national par Patrick Buisson interposé. Et c’est ainsi que, face aux désordres du monde, le FN est devenu chez nous leader d’opinion. Ce suivisme est évidemment plus choquant à gauche qu’à droite. On ne pouvait guère attendre autre chose de Nicolas Sarkozy. En revanche, les électeurs de mai 2012, eux, attendaient tout le contraire de François Hollande. Ils attendaient surtout une rupture avec les politiques d’austérité. Très vite hélas, cette gauche, en se fondant dans le creuset libéral, a fait passer deux messages ravageurs : celui de l’injustice sociale et celui du reniement. Elle a suggéré que le choix démocratique était finalement sans véritables conséquences, et donc sans importance. D’où une désaffection croissante de l’électorat de gauche, et le succès de l’offre de rupture du FN mû en « parti des ouvriers », sur le thème « avec nous au moins, ça va changer ! ». C’est la combinaison désastreuse d’une double trahison, sociale et démocratique. Or, ce qui est frappant depuis dimanche soir, c’est l’absence totale de remise en cause de la part des responsables socialistes. « Je ne vais tout de même pas m’excuser », s’est même esclaffé Manuel Valls à la télévision.

Pas de retour sur le passé, donc. Pas de bilan. En apparence, rien que de la tactique. À moins que, plus grave encore, on assiste à l’ébauche d’une recomposition politique qui ressemble fort à une tentative historique de liquidation de la gauche. Depuis bien longtemps Manuel Valls fait un usage surabondant et abusif de la « République ». Un mot qui efface toute conflictualité sociale. C’est évidemment au nom de cette « République », à laquelle je mets des guillemets, qu’il appelle à voter Estrosi (pour ne citer que lui). C’est à ce personnage que le Premier ministre confie le pouvoir ou le contre-pouvoir au sein de la région Paca. Avec un avocat comme ça face au Front national, les musulmans, le mouvement social, les associations humanitaires et culturelles peuvent dormir en paix… Cela ne semble pas inquiéter le Premier ministre, qui est sans doute homme de convictions. Mais pas celles que l’on croyait.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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