Quand les citoyens prennent l’eau
Des collectifs militants s’emploient à ramener en gestion publique ce bien commun qu’est la ressource en eau.
dans l’hebdo N° 1382-1384 Acheter ce numéro
Entre le massif du Jura et le lac Léman, à quelques encablures de Genève, une poignée d’associations citoyennes et environnementales, comme Attac, les Colibris, Habitats coopératifs ou Non au gaz de schiste, sont en passe de gagner leur combat pour le retour à un service public de l’eau dans le pays de Gex (Ain). Face à deux filiales de Suez Environnement, les militants associatifs n’ont rien lâché. « Ce genre de bataille n’est jamais perdu », dit avec détermination Natalia Dejean, présidente de la Coordination eau bien commun Rhône-Alpes, qui a rencontré ces citoyens gessiens lors d’un Alternatiba, village transfrontalier des alternatives, organisé à Genève en septembre. Michel Amiotte, militant d’Attac, raconte qu’un collectif « Eau de pays de Gex bien commun » s’y est constitué. « Cela nous a fait travailler ensemble sur ces thématiques de l’eau. Nous avons pu organiser des séances de formation, d’animation, des projections-débats », poursuit Natalia Dejean. Certains ont planché sur la question du changement climatique et sur l’établissement de principes démocratiques affirmant que « le droit à l’eau est un droit inaliénable, individuel et collectif » et que « la propriété et la gestion des services d’eau doivent impérativement s’inscrire dans le domaine public ». Surtout, le collectif a invité quelques spécialistes pour éplucher les rapports des filiales délégataires. « Nous avons été pris au sérieux quand nous avons montré les abus des filiales délégataires et les évolutions de prix non prévues par les contrats. Le président de l’assemblée communautaire du pays de Gex, majoritairement à droite, a demandé une étude sur les deux modes de gestion, privé et public », reprend Michel Amiotte. Il est membre de la commission consultative des services publics locaux qui a récemment voté en faveur de la régie publique. Au fil des mois, les expertises, interpellation d’élus et participations citoyennes ont eu raison des préjugés.
Les réseaux réunissant citoyens et associations savent aussi que le calendrier leur est favorable pour inciter les collectivités à franchir le pas. Un grand nombre de contrats de distribution conclus avec les trois multinationales de l’eau (Veolia, Suez Environnement et la Saur) arrivent à échéance entre 2015 et 2017. Ainsi, la communauté d’agglomération du Val-d’Orge, dans l’Essonne, a lancé une consultation publique. Les citoyens ont donné leur avis sur le mode de gestion de l’eau en renvoyant une carte-T : « On a été surpris par les retours, 80 % des réponses sont en faveur de la régie publique », assure Jean-Claude Oliva. Les luttes citoyennes ne s’arrêtent pas au retour en régie publique. Les actions contre les coupures d’eau se sont aussi multipliées au nom du « droit humain à l’eau potable et à l’assainissement », revendiqué par la Coordination Eau bien commun France. ONG humanitaires, caritatives et environnementales, regroupées au sein d’une plateforme réunie par la fondation France Libertés et la Coalition Eau ont ainsi obtenu l’adoption en 2013 d’une loi instituant le droit à l’eau comme un droit fondamental des citoyens. Avec ce texte, le temps des coupures d’eau s’achève et la reconnaissance, à petits pas, d’autres modèles de gestion des biens communs et des services publics fait son entrée dans la vie politique.