Régionales : Des enjeux locaux et nationaux
Le scrutin de dimanche va élire les conseils de nouvelles régions dotées de compétences importantes. C’est aussi, pour les principales formations politiques, une étape en vue de la bataille de 2017.
dans l’hebdo N° 1380 Acheter ce numéro
Pendant l’état d’urgence, la démocratie continue. Dimanche, la quasi-totalité des électeurs sont appelés à désigner leurs conseillers régionaux dans les douze régions hexagonales, en Guadeloupe et à La Réunion, ainsi que les conseillers territoriaux de l’Assemblée de Corse, de Guyane et de Martinique. Si les enjeux politiques de cette élection sont avant tout locaux, ils sont aussi nationaux, ce rendez-vous électoral, qui intervient dans un pays en proie à la peur depuis les attentats du 13 novembre, étant le dernier avant 2017. La première fonction de ce scrutin de liste à la proportionnelle à deux tours avec prime majoritaire vise à élire des assemblées représentatives, dont les effectifs varient selon la population des régions – de 209 en Île-de-France à 41 en Guadeloupe –, et non des présidents de région comme tend à le faire croire la personnalisation autour des têtes de liste. Ceux-là et leurs vice-présidents seront élus le vendredi 18 décembre dans les cinq régions métropolitaines non modifiées, et le 4 janvier dans les régions fusionnées, les fusions n’étant effectives qu’au 1er janvier 2016.
Le mandat des 1 757 conseillers régionaux et 153 conseillers territoriaux élus les 6 et 13 décembre courra jusqu’en mars 2021, sauf en Corse, où l’assemblée ne siégera que deux ans. L’île, dotée d’un statut particulier qui fait d’elle une collectivité territoriale (CTC) aux pouvoirs plus étendus que dans les régions continentales, deviendra le 1er janvier 2018 une collectivité unique, issue de la fusion de la CTC et des conseils départementaux de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Sa mise en place provoquera de nouvelles élections. La première tâche des élus des régions fusionnées consistera à trouver un nom et une cohérence à ces nouvelles entités administratives. Quelle identité donner à Champagne-Ardenne-Alsace-Lorraine, Auvergne-Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon ou Bourgogne-Franche-Comté ? La loi prévoit que leur nom et leur chef-lieu définitifs seront tranchés avant le 1er octobre 2016 par décret en Conseil d’État, après avis du conseil régional concerné. Or, face à cet enjeu, les candidats restent souvent prudents, la plupart se contentant de recenser les avis des habitants, alors que nom et projet sont indissociables. Ainsi en est-il quand Claude Bartolone déclare vouloir rebaptiser sa région en Paris-Île-de-France au prétexte que « Paris est la deuxième marque la plus connue au monde après Coca-Cola » et que ce serait bénéfique pour les entreprises « dans la mondialisation » .
L’autre enjeu local consiste à définir des politiques pour ces régions dont la loi NOTRe (Nouvelle organisation du territoire de la République) de juillet 2015 consacre la montée en puissance. Les régions disposent désormais d’une compétence exclusive en matière économique. Seule collectivité à pouvoir leur accorder des aides directes, la région est chef de file du soutien aux entreprises. Elle joue un rôle de premier plan dans la formation professionnelle, s’occupe de la formation des chômeurs et des travailleurs sociaux. La région a désormais en charge l’aménagement durable du territoire, ce qui inclut l’accès au très haut débit. Elle organise les transports collectifs routiers, y compris scolaires, et ferroviaires, en dehors des agglomérations, elle gère les ports et les aéroports. Elle intervient dans de nombreux secteurs, notamment l’enseignement – elle est chargée des lycées publics (construction, entretien, fonctionnement) – et la culture. Dans tous ces domaines, et eux seulement, les conseillers régionaux décident des politiques conduites en votant des délibérations que la présidence prépare et exécute. Ils disposent pour cela de budgets importants : jusqu’à présent, le budget global des régions s’élevait à 29 milliards d’euros par an, soit environ 8 % du budget de l’ensemble des collectivités territoriales. Pour financer leurs nouvelles compétences, le gouvernement a décidé d’y ajouter 3,9 milliards d’euros annuels à partir de 2017 par un transfert de fiscalité. Le scrutin de dimanche a aussi des enjeux nationaux. La participation en est un. En réponse aux attentats, tous les partis invitent les électeurs à se mobiliser. Seront-ils entendus ? Dans un sondage YouGov pour 20 minutes publié mardi, 64,7 % des sondés affirmaient qu’ils iraient voter dimanche. Un chiffre optimiste, encore attesté par aucune autre enquête d’opinion. Au premier tour des régionales de 2010, l’abstention avait été de 53,6 %. Après les attentats, les analystes des instituts de sondage parient sur un regain de participation modeste. Ils notent surtout que la période post-attentats profite, dans les intentions de vote, au FN, qui est en passe de réaliser son meilleur score toutes élections confondues. Les listes d’extrême droite, portée par des candidats très médiatisés – Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen – imposeront des triangulaires dans l’ensemble des régions métropolitaines et semblent en mesure de l’emporter dans une à deux régions.
À seize mois du rendez-vous de 2017, l’état du rapport de force entre les principales formations politiques constitue pour ces dernières un enjeu important. Une victoire du FN écornerait sérieusement le bilan de la droite, dont le principal parti, Les Républicains de Nicolas Sarkozy, comptait sur ces régionales pour lancer la reconquête avant l’élection présidentielle de 2017. Le PS, donné perdant dans les deux tiers des 12 nouvelles régions de l’Hexagone, compte, pour limiter la casse, sur le regain de popularité du chef de l’État et l’adhésion massive des Français aux mesures contre le terrorisme, mais le virage sécuritaire de l’exécutif dérange certains électeurs écologistes et Front de gauche, qui renvoient dos à dos le PS et la droite. Le Front de gauche, qui voulait contrecarrer le tripartisme, ne s’en est pas vraiment donné les moyens en ne se présentant uni que dans deux cas sur trois ( Politis n° 1375). Et EELV, en solo dans 8 régions sur 12, est loin de retrouver l’élan de 2010. Dans ce paysage peu enthousiasmant, le score des rares listes rassemblant les traditions sociales et écologistes de la gauche sera très observé.