Tsipras dans le piège des créanciers
Le Premier ministre est contraint d’appliquer des mesures de plus en plus impopulaires. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.
dans l’hebdo N° 1381 Acheter ce numéro
Alexis Tsipras et l’Europe, c’est comme le théâtre d’ombres, on devine les mouvements mais on ne sait pas qui joue quel rôle. Pour le blogueur Loucas Stamellos, cofondateur du site alternatif OmniaTV, cela s’apparente même à « un Guignol qui joue sans véritable adversaire, car Alexis Tsipras est actuellement le seul politicien en position de gouverner le pays ». De fait, à droite, les conservateurs, dans la panade, sont incapables d’élire un président de parti. Et, à gauche, personne, ni les communistes ni l’Unité populaire (le parti fondé par les sécessionnistes de Syriza, le mouvement de la gauche radicale au pouvoir), ne veut ni ne peut gouverner.
Du coup, Alexis Tsipras a un boulevard devant lui. Le problème, c’est qu’il ne sait pas ou aller. L’Europe a besoin de lui par défaut pour appliquer sa politique, et lui coopère avec un pistolet sur la tempe. Il voudrait appliquer une autre politique, mais il est désormais convaincu que ce n’est pas possible. D’où cette façon de signifier qu’il n’est pas d’accord avec la politique d’austérité, qu’il n’y croit pas, mais qu’il n’y a pas d’autre solution que de l’appliquer pour en sortir… Dans les faits, cela donne la situation ubuesque de la semaine dernière, où Syriza appelait pour la seconde fois les Grecs à manifester pour les premières grèves générales de l’ère Tsipras. Des grèves menées contre la politique d’austérité appliquée par la coalition au pouvoir, donc par Syriza ! L’explication de cette schizophrénie réside évidemment dans la pression des créanciers. Le « quartet » a récemment passé en revue, durant plus d’une semaine, les comptes du pays et la mise en application du premier jet de réformes à la suite de l’accord du 13 juillet. À l’époque, la mort dans l’âme, après des mois de résistance et huit jours à peine après le « non » massif des Grecs à la poursuite de la rigueur, Alexis Tsipras avait signé le troisième mémorandum d’austérité pour éviter une sortie désordonnée de l’Eurozone. Il avait présenté ce changement de cap comme un choix tactique. « On peut, disait Odysseas Boudouris, candidat à la députation, perdre plusieurs batailles et finir par gagner la guerre ». Autrement dit, la politique de Tsipras relèverait de la haute stratégie. Maintenant, ce chirurgien, qui avait voté Tsipras par conviction en janvier et par défaut en septembre, est plutôt content de n’avoir pas été élu. « Je ne comprends plus, dit-il, je ne vois pas où il va avec sa politique européenne. C’est le chaos. J’ai accepté cette évolution de Tsipras car il y avait des forces conservatrices, en septembre, qui auraient pu conduire le pays à une situation explosive, mais, dans mon esprit, c’était un repli tactique et il fallait prévoir une suite. »
C’est là que le bât blesse, car, manifestement, Alexis Tsipras n’a pas de suite prévue, si ce n’est appliquer le programme économique imposé, celui auquel il ne croit pas, tout en limitant la casse pour les couches de la population les plus touchées. Sauf que cela ne marche pas. La récession se poursuivra l’année prochaine. On est toujours à 28 % de chômage. Le PIB, réduit d’un quart ces six dernières années, continue de chuter, alors que le nombre de Grecs sous le seuil de pauvreté, ou tout au bord, ne cesse d’augmenter pour dépasser les 33 %. Cela n’a pas empêché Alexis Tsipras de demander aux députés de sa coalition de voter pour un nouveau tour de vis en deux temps. Une première fois le 19 novembre, une seconde dans la nuit du 5 au 6 décembre. En novembre, il s’agissait d’obtenir 12 milliards d’euros du Mécanisme européen de stabilité (MES) en échange du vote d’une loi facilitant les expulsions des ménages endettés. Vote au cours duquel deux députés de la majorité gouvernementale ont fait défection. En décembre, il s’agissait de faire passer un budget « très dur », de l’aveu même du ministre des Finances. Il est passé de justesse, avec 153 voix sur 300. Un budget qui entérine 5,7 milliards d’euros de hausse d’anciennes taxes, de création de nouveaux impôts et des baisse des retraites. Et le plus dur reste à faire. Il n’est pas dit que le gouvernement Tsipras y résistera. Il s’agit de la réforme des caisses de retraite. Le Premier ministre a tenté de négocier durant six heures avec les chefs de partis (exception faite des néonazis et des communistes) pour trouver un consensus. En vain.
Du coup, on parle de plus en plus d’élections anticipées au printemps ou d’un nouveau gouvernement d’union nationale. Déjà, Alexis Tsipras a pris des mesures pour décourager les départs anticipés en retraite, fait adopter l’âge légal de la retraite à 67 ans et augmenté les cotisations santé sur les pensions de retraite et les complémentaires. Mais les créanciers exigent en plus une unification des systèmes d’assurance vieillesse, laquelle se traduira par une nouvelle baisse des retraites supérieures à 1 000 euros. Sur deux millions de retraités, cela concerne 475 000 Grecs touchant entre 1 000 et 1 500 euros de pension. L’état des caisses est tel qu’il n’est pas dit que Georges Katrougalos, le ministre concerné, pourra protéger, comme il l’affirme, les retraités touchant 1 000 euros. But non avoué de cette réforme : faire en sorte que la retraite la plus haute soit de 1 400 euros, « ce qui veut dire, commente Magdalena, professeure, que la majorité des retraites dans le public sera de 350 à 400 euros. On ne peut pas vivre comme ça ». Pour Georges Tsiaras, rédacteur en chef du Journal des rédacteurs, proche de Syriza, Tsipras veut « appliquer à la lettre la recette imposée et prouver par défaut qu’elle ne marche pas, pour forcer les créanciers à changer ». Tsipras se poserait alors comme chef de la gauche européenne. « Il voit au-delà de la Grèce, poursuit Georges Tsiaras, et il attend que le plan devienne caduc pour forcer ses interlocuteurs à renégocier la construction d’une autre Europe. » N’est-ce pas supposer que le FMI, pour ne citer que lui, est de bonne foi ? Or, nous le savons, la bataille est moins économique qu’idéologique.