Enfants pervertis du capitalisme
Notre mal vient de plus loin est le texte d’une conférence prononcée par Alain Badiou dix jours après les tueries du 13 novembre, dont il offre une analyse pénétrante.
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C’était le 23 novembre 2015, dix jours après les attentats à Paris. Alain Badiou donnait une conférence pour, déjà, tenter de les penser – car « on ne doit rien laisser dans le registre de l’impensable ». Depuis, la vidéo de cette conférence a fait le tour des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le texte prononcé par le philosophe est publié sous le titre racinien Notre mal vient de plus loin. En quelques dizaines de pages, c’est une vision cohérente du monde que livre Alain Badiou, un monde qui ne compte plus aucune marge, le capitalisme globalisé dominant la planète. C’est là un axe essentiel de sa démonstration : ne pas chercher les racines du mal au sein d’une autre civilisation qui engendrerait ses « barbares », prêts à en découdre avec l’Occident. Surtout ne pas prendre l’islam pour clé d’explication. « La religion n’est qu’un vêtement, elle n’est aucunement le fond de l’affaire, écrit celui qui reste fidèle à la grille d’analyse qu’offre le marxisme_, c’est une forme de subjectivation, pas le contenu réel de la chose. »_
Que les auteurs des massacres soient issus de notre sol n’a qu’une importance secondaire, pour Alain Badiou, car ils appartiennent surtout à la majeure partie de la population mondiale qui ne bénéficie pas des bienfaits que procure l’Occident. Dans cette multitude, l’auteur distingue deux « subjectivités » possibles. Le désir d’Occident : ce sont les migrants ou ceux qui s’accommodent d’une copie du modèle avec des moyens misérables. Ou le nihilisme : c’est la version négative de la précédente, une fascination qui se transforme en destruction. Cette seconde subjectivité se retrouve chez les tueurs de Paris. Elle a fait d’eux des « fascistes ». D’où cette phrase, lâchée comme un slogan : « C’est la fascisation qui islamise, et non l’islam qui fascise. »
Alain Badiou poursuit ainsi son idée-force selon laquelle rien n’est extérieur au capitalisme, même si le fascisme dont il parle en est une « perversion subjective ». Il a précédemment analysé comment celui-ci avait affaibli, voire détruit, les États, comme en Irak, pour créer des zones anarchiques où sévissent des bandes armées plus ou moins contrôlables, mais avec lesquelles le commerce reste possible. Ainsi avec Daech. « De même que le désir nihiliste n’est qu’un envers du désir d’Occident, écrit-il, de même les zones désétatisées où prospère la subjectivité nihiliste sont articulées au marché mondial, et donc au réel de l’Occident. »
Ce n’est pas ailleurs mais « plus loin » qu’il faut chercher l’origine du mal. Dans cette incapacité à forger, depuis plus de quarante ans, « une politique qui serait disjointe de toute intériorité au capitalisme ». Cette politique, ou cette idée, il la nomme sans surprise le « communisme ». Quel que soit son nom, il est urgent de la réinventer.