Éric Piolle : « La société est mûre pour une alternance »
Selon le maire de Grenoble, Éric Piolle, il est possible de se libérer du bipartisme au profit d’un nouveau projet politique d’initiative citoyenne.
dans l’hebdo N° 1387 Acheter ce numéro
Fort de l’expérience de sa ville, dirigée par une coalition regroupant Europe Écologie-Les Verts, le Parti de gauche et des mouvements citoyens, l’écologiste Éric Piolle, qui ne s’est jamais engagé dans les instances de son parti, estime aujourd’hui avoir une responsabilité « particulière » dans le débat politique national, « nécessaire », même, depuis le résultat des élections régionales, afin d’œuvrer à l’émergence d’une alternance au bipartisme.
En dépit de visions proches, pourquoi les composantes à gauche du PS ne parviennent-elles pas à proposer collectivement une offre politique attractive ?
Éric Piolle : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’impuissance. La société avance, les partis aussi. L’envie de nouveauté est partout : nous sommes à l’aube d’un nouveau cycle, on tâtonne. Mais la mayonnaise ne prend pas encore à cause d’un mode de scrutin verrouillé autour d’un bipartisme qui, bien que dans l’impasse, est poussé à son extrême par ceux qui sont au pouvoir.
Le clivage gauche-droite a-t-il perdu sa pertinence, comme le pensent de nombreux Français ?
« La droite trahit les promesses, la gauche trahit l’espoir », disait Coluche. Nous le vivons actuellement, ce qui alimente chez beaucoup le sentiment qu’il n’y a plus de différence entre les deux pôles. Pour ma part, j’estime qu’il n’y a plus de sens aujourd’hui à porter un discours politique dans une logique de camp. Il faut briser cet enfermement sur un axe gauche-droite qui ne permet plus de s’ouvrir aux gens là où ils se trouvent. Je suis convaincu que tous les Français espèrent l’alternance, dont la construction nécessite de se libérer du bipartisme. Il ne s’agit pas de constituer un cartel de partis alternatifs ou un contre-pouvoir visant à « gauchiser » ou à « écologiser » le pôle socialiste, mais de bâtir un projet de transition qui dépasse les clivages et qui fera gagner tous les Français.
La recette grenobloise est-elle applicable à l’échelon national ?
Notre force a été de commencer par un projet alimenté par les mobilisations d’habitants au service de l’intérêt collectif – éducation populaire, participation citoyenne, défense de biens communs comme l’eau ou les services publics, lutte contre la corruption, etc. Les forces politiques s’y sont agrégées par la suite.
Cette dynamique que je porte à Grenoble, je la soutiens aujourd’hui pour l’échelle nationale : d’abord créer une dynamique large, incarnée par des groupes et des individus issus d’horizons très divers, puis rallier le soutien des mouvements politiques. Ces derniers doivent devenir les courroies qui traduisent en un projet commun les aspirations de la société civile.
C’est ce qu’EELV a tenté en 2008, mais l’élan est retombé…
Cette incarnation à plusieurs facettes était constituée avec Bové, Joly, Jadot, Cohn-Bendit, etc. Mais cette « coopérative politique » n’a pas tenu dans la durée parce qu’elle a été accaparée par un seul parti. Pour être conservée, la légitimité d’un tel partenariat doit être renouvelée. C’est l’esprit qui me porte : à chaque échéance, réactiver le projet politique, l’aventure collective, la confiance, les outils. Ce qui permet de porter les bons projets à la bonne échelle : européenne pour le scrutin européen, municipale quand on élit un exécutif communal, etc. Les dernières régionales montrent ce qui peut arriver quand le débat local est écrasé par une campagne nationale.
Ce type de dynamique, qui a remporté un réel succès lors des dernières élections en Espagne, est-il possible en France ?
Le nier serait une stupide absence d’imaginaire. Je suis convaincu que la société civile est prête ! Le pacte citoyen, les Colibris, Attac, Alternatiba, le mouvement humaniste autour des migrants… Il existe des initiatives citoyennes partout et dans tous les domaines ! Il y a de la place pour cette alternance, nous avons besoin désormais d’individus éthiques, qui se mettent au service d’un projet d’avenir. Nous n’avons pas besoin de la caste des gestionnaires, qui se contente d’administrer un modèle dans l’impasse. L’essentiel est d’abord de prendre conscience de notre potentiel : oui, on peut créer l’alternance, la vraie. Puis viendra l’étincelle qui fera émerger ces personnes.
Qui frotte les silex ?
Partout les gens se parlent ! À Grenoble ou à Paris, je rencontre tout le monde : Pierre Larrouturou et Cécile Duflot ce matin, des sociologues, des urbanistes, des responsables associatifs… Nous tentons de faire converger nos vues. Et ça peut aller très vite. Qui aurait dit que Corbin allait prendre la tête du parti travailliste au Royaume-Uni ? Que Trudeau serait élu au Canada ? De ma place, j’interpelle tous ceux qui croient que la politique a encore prise sur l’avenir : nous pouvons gagner et nous libérer du bipartisme. L’alternance à est portée de main.