Afficher ses convictions

La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine présente une collection d’affiches politiques réalisées entre 1970 et 1990. Une période jusque-là peu montrée.

Jean-Claude Renard  • 24 février 2016 abonnés
Afficher ses convictions
© **Internationales graphiques**, Hôtel national des Invalides, 129, rue de Grenelle, Paris VIIe, jusqu’au 29 mai.

« Changer la vie ! » C’est l’injonction du collectif Grapus, un petit groupe de graphistes créé en 1970 par Pierre Bernard, François Miehe et Gérard Paris-Clavel, plus tard rejoints par Alex Jordan et Jean-Paul Bachollet. Cette année-là, ils proposent à la troisième biennale de l’affiche, à Varsovie, sous les mots « Un peuple uni et déterminé pour son indépendance », une série dénonçant la guerre du Vietnam et magnifiant la résistance populaire. Le motif du chapeau traditionnel est reproduit sur huit affiches. Seul le fond du ciel change, passant du feu orangé au bleu lourd et épais, tandis qu’une neuvième affiche clôt la série sur un ciel bleu clair, enfin pacifié.

En France, le même collectif interpelle (en 1975) la Solidarité ouvrière internationale « pour une vie nouvelle », harangue les salariés au moment des élections prud’homales (de 1979), usant toujours d’un fond bleu. « Votez pour vous. » Seule une main blanche, tenant un bulletin de vote jaune CGT, anime le fond de l’affiche.

En 1982, pour la ville de -Fontenay-sous-Bois, Grapus pointe en rouge et noir les militaires bafouant les droits de l’homme en Turquie. La même année encore, pour le Front démocratique pour la libération de la Palestine, le collectif signe un champ vert assombri par un ciel noir. En légende : « Pas de paix sans les Palestiniens, pas de Palestiniens sans l’OLP. » Jusqu’à la fin des années 1980, le collectif signera des affiches pour le Parti communiste, la CGT, pour nombre d’associations, différentes villes de gauche, s’affirmant comme une référence majeure dans le graphisme politique.

Ces trublions du graphisme engagé ne sont pas les seuls. Alain Le Quernec en est un autre exemple. Qui imagine un casque en barbelés derrière lesquels sont enfermés de petits personnages, pour une campagne d’Amnesty International (1977), ou Staline défiguré par un œil gauche poché (en 1981) quand le PSU de -Bretagne lui demande une affiche sur Solidarnosc, dérouillant sous le régime communiste (pour le coup, le graphiste devra revoir sa copie, le PSU jugeant le dessin trop violent et préférant une autre version, avec Lénine versant une larme).

Mai 68 est passé depuis longtemps, les graphistes n’en gardent pas moins une verve militante. C’est le premier intérêt de cette exposition, Internationales graphiques, présentée par la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine et consacrée à l’affiche entre 1970 et 1990, une période sur les cimaises nettement moins privilégiée que les sixties. Mais tout aussi dense, marquée par les luttes anticoloniales, le pacifisme, la contestation sociale. En France et à l’étranger.

C’est l’autre intérêt de cette exposition foisonnante : montrer à quel point la production passe les frontières, se fait l’écho des protestations internationales. La guerre du Vietnam mobilise partout, comme les dictatures latino-américaines ou la Révolution des œillets, inspirant à Klaus Staeck (en 1973) un Pinochet en noir et blanc plastronnant sous l’insigne de la CIA (« Il faut que la démocratie prenne un bain de sang de temps en temps »), ou encore, en solidarité avec le Portugal, un œillet au bout d’un fusil dressé vers le ciel (1975). Le boycott contre la Coupe du monde de foot 1978, en Argentine, écrasée par les militaires, sera un autre terrain d’expression, comme les campagnes anti–apartheid en Afrique du Sud (le collectif néerlandais Wild Plakken).

Où l’on observe ici et là les influences du Bauhaus, du constructivisme russe, du photomontage et du pop art, réinvesties dans l’espace public. Mais pas seulement. S’y ajoute l’empreinte polonaise, sous la houlette d’Henryk Tomaszewski, travaillant pour l’édition et la presse, enseignant à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, se distinguant dès l’après-guerre par la simplicité et la puissance de ses images. Réseaux et correspondances circulent ainsi, dynamisant l’affiche suivant de semblables motivations, la volonté de changer le monde.

Dans les années 1980, un glissement va s’opérer. Si le champ culturel reste un domaine de prédilection de la création artistique (Grapus œuvrant pour le théâtre de la Salamandre, à Tourcoing, avec un personnage assis sur les toilettes, replié sur lui-même, pour illustrer Attention au travail, ou pour les Amandiers, à Nanterre, encourageant le public à franchir les portes du théâtre en proclamant « Passez donc à la maison »), la sensibilité démocratique, pacifiste et écologique croise les luttes des femmes et des homosexuels, des chômeurs, des mal-logés, des enfants.

Claude Baillargeon, qui a lui aussi œuvré pour le PS ou le PC, recourant au photomontage, jouant sur le double sens pour offrir des images dont le traitement artistique n’est jamais secondaire, s’enquiert d’un « droit au logement pour tous » et dit son angoisse face à un « chômage [qui le] vide », représentant un sombre buste sans tête, pour la ville de Bagnolet, tandis que Grapus affiche (pour le Secours populaire français) un dessin naïf « pour envoyer les gosses au soleil ».

De son côté, Alain Le Quernec recommande de visiter Plogoff, s’efforçant de mobiliser les touristes contre le projet de centrale nucléaire à proximité de la pointe du Raz. En rayant de noir cette centrale, au centre de l’affiche, encadrée par la côte et son phare, le graphiste mise sur la défense du patrimoine naturel.

On remarque une chose dans cette décennie : le recours des partis et des syndicats au graphisme a cédé le pas aux agences de communication, s’alignant sur les canons de la publicité.

Culture
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