BHL le militant
Sous l’érudition, son Esprit du judaïsme tourne souvent à la propagande.
dans l’hebdo N° 1391 Acheter ce numéro
Lire ou ne pas lire Bernard-Henri Lévy ? La question ne s’était pas posée à nous depuis Le Siècle de Sartre. Et puis, cette fois, une irrésistible envie d’aller y voir, puisque « comprendre n’est jamais excuser »… Mais, au terme d’une plongée dans son Esprit du judaïsme, une question s’impose : pourquoi BHL a-t-il besoin de tant de détours pour nous amener à une conclusion aussi prévisible ? Pourquoi convoque-t-il autant d’ostensible érudition, et parfois de brio, pour finalement nous infliger un discours sur Israël à peu près aussi nuancé qu’une ode d’Aragon à Staline dans les années 1950 ?
Quel genre de voyage fait-il dans ce pays, et de quels récits est-il instruit, pour oser nous dire qu’Israël est une démocratie si admirable qu’elle en a « désavoué la science politique ». De quelle propagande est-il la proie pour écrire, frémissant d’admiration : « Je connais un pays où le problème de la multiethnicité a trouvé une solution » et où les citoyens d’origine arabe « jouissent de l’entièreté des droits civiques » ? Où la Cour suprême sanctionne les autorités quand la « barrière de séparation [comprendre « le mur »] empiète sur le territoire des villages palestiniens ». Où – comble de la générosité ! – les hôpitaux soignent les Arabes ! Oui, les Arabes ! Un pays, enfin, qui observe le principe de « la pureté des armes », et dont l’armée campe sur un impeccable « socle moral ». « Expérience inouïe, se pâme-t-il, de terre ravivée, de désert fleuri […] et d’espérance sous les étoiles. »
En vain on cherche trace des 800 000 Palestiniens expulsés et des villages terrorisés par l’opération Daleth. BHL semble n’avoir lu ni Ben Gourion, ni Sharon, ni Sharett. Où sont donc les bombardements de Gaza, la colonisation intensive ? Où sont Netanyahou et Bennett ? Où est la ségrégation économique et sociale que subissent les Palestiniens de nationalité israélienne ? Tel Moïse, BHL entend éternellement Yahvé lui promettre un pays « où coulent le lait et le miel ». Mais il est sourd à Amnesty International, aux rapports de B’Tselem et aux anciens militaires de Breaking the Silence.
Pas étonnant qu’en occultant ainsi tout fondement à une critique politique d’Israël, il en vienne à la conclusion que l’antisionisme ne peut être que le masque de l’antisémitisme. Rien ici n’est innocent. Même cette évocation, non dépourvue de grâce, de Ninive, l’antique cité assyrienne, sert in fine à essentialiser l’antisémitisme. Ninive la dépravée et la corrompue, dont le roi menait déjà les Hébreux en exil, n’est-elle pas l’ancêtre de Mossoul, « capitale » de Daech ? Continuité de l’histoire. Fusion et confusion du récit biblique avec la réalité d’aujourd’hui. Et lorsque BHL s’emploie, non sans raison, à dissiper le « malentendu » sur la notion de « peuple élu », c’est pour mieux vanter « l’hypersensibilité juive » aux souffrances du monde. Ce qui est une autre façon d’essentialiser.
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