Crise chinoise : jusqu’où le déni ?

La croissance chinoise était tout sauf soutenable.

Thomas Coutrot  • 3 février 2016 abonné·es
Crise chinoise : jusqu’où le déni ?
Thomas Coutrot Membre du conseil scientifique d’Attac
© KLAUS OHLENSCHLÄGER / PICTURE ALLIANCE / PICTURE-ALLIANCE/AFP

L’un des aspects les plus fascinants de la crise mondiale qui a commencé en 2015 avec le krach financier chinois est la cécité volontaire de la communauté mondiale des économistes et des commentateurs sur la récession en Chine. En 2007, Li Keqiang (aujourd’hui Premier ministre du pays) avait évoqué la nature « artisanale », pour ne pas dire politique, du PIB chinois, ajoutant que le gouvernement de sa province préférait se focaliser sur des « indicateurs alternatifs » pour l’activité économique, comme la consommation d’électricité et le volume du fret ferroviaire. Or, en 2015, la consommation d’électricité a reculé (pour la première fois depuis la catastrophe économique de la Révolution culturelle en 1968). Le fret ferroviaire a chuté de 12 %. Quant aux importations du pays, elles se sont effondrées de 15 % au premier semestre 2015.

Au vu de ces chiffres, la Chine est clairement en récession, voire en dépression. L’annonce par les autorités chinoises d’un taux de croissance de 6,9 % du PIB en 2015 aurait dû faire sourire les observateurs. Mais la plupart se sont contentés de remarquer que ce chiffre était « inférieur aux prévisions officielles » (7 % !) et marquait donc un « léger ralentissement ». Michel Aglietta, observateur supposé averti, exprime ainsi l’opinion moyenne des milieux financiers : « Même si la croissance tombe à 6 % ou 5 % cette année, on ne peut pas parler de récession, il s’agit d’une transition relativement difficile entre deux régimes de croissance. »

Chacun sait pourtant que la croissance chinoise était tout sauf soutenable. Outre la terrible dégradation écologique qui fait étouffer les citadins, cette croissance reposait sur un taux d’investissement délirant (50 % du PIB), c’est-à-dire une énorme suraccumulation de routes, de ponts, d’infrastructures de transports, d’usines et de bâtiments largement inutiles. Les gigantesques villes nouvelles, sans habitants ni trafic automobile, auraient fait les délices d’Alphonse Allais, qui aimait dire qu’« on devrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus pur ». La bulle immobilière s’était doublée comme souvent d’une bulle financière, toutes deux désormais en cours d’effondrement.

Ce problème de suraccumulation existait déjà avant, mais la crise financière de 2007-2008 a incité le régime chinois à l’aggraver en relançant son économie, en incitant les collectivités, les entreprises et les particuliers à une véritable orgie de dettes. La dette privée est ainsi passée de 125 % du PIB en 2007 à 207 % en 2015. Cela a évidemment boosté la croissance pendant un temps, mais aussi aggravé les énormes déséquilibres qui sont en train de tirer la Chine vers l’abîme.

Que se passera-t-il lorsque les économistes et les financiers ouvriront les yeux sur l’ampleur du désastre chinois ? Cela pourrait être le déclic du prochain tsunami financier mondial. Tant qu’il y avait de bonnes affaires à réaliser, les financiers ont fermé les yeux sur les statistiques truquées du régime chinois, comme ils l’avaient fait sur ceux du gouvernement grec dans les années 2000. Mais le retour sur terre sera douloureux. Il est temps de leur retirer leur permis de gouverner.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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