David Cormand : « EELV doit être une force libre »

Le nouveau secrétaire national d’EELV, David Cormand, confie à Politis son analyse du coup porté par François Hollande à son parti, et ses ambitions pour le relever.

Michel Soudais  et  Célia Coudret  • 17 février 2016 abonnés
David Cormand : « EELV doit être une force libre »
© David Cormand Secrétaire national par intérim d’EELV.

C’est par un coup de téléphone d’Emmanuelle Cosse que David Cormand, secrétaire national adjoint d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), a appris l’entrée imminente au gouvernement de sa camarade. Contraint d’interrompre ses vacances pour assumer la direction par intérim du parti écologiste jusqu’au congrès fixé en juin, le conseiller régional de Normandie a refusé, lors de notre rencontre dans un café parisien le 14 février, d’user de mots violents pour évoquer ce que d’aucuns qualifient de « trahison », préférant croire à l’avenir de l’écologie par-delà les péripéties d’un remaniement politicien.

Comment jugez-vous l’opération débauchage opérée par François Hollande ?

David Cormand Ce qui est triste, c’est qu’il ne s’agit en rien de répondre aux problèmes du pays, mais uniquement d’une stratégie politicienne. Pour le Président, les écologistes doivent être soit soumis, soit éliminés. S’ils refusent de s’aligner sur la politique menée, alors ils sont qualifiés de gauchistes. C’est un récit qu’il installe depuis un moment, comme lors des régionales avec le procès en « mélenchonisation » d’EELV. Dans la perspective de 2017, François Hollande vise à faire croire qu’entre lui et Jean-Luc Mélenchon, il n’y a rien. La réalité est très différente. Entre le socialisme de l’offre et l’opposition de gauche, il y a la possibilité de forger un autre chemin. Nous sommes prêts à participer aux responsabilités, mais pour transformer la société. Concernant le remaniement, je ne comprends pas la décision de rejoindre un gouvernement qui part dans une aussi mauvaise direction.

François Hollande n’a-t-il pas porté un coup décisif à votre mouvement ?

C’est en tout cas son objectif. Cela donne une mauvaise image d’EELV, et de l’écologie en général. Mais je veux croire que ce mauvais feuilleton s’achève enfin. Nous avons contribué à la victoire de 2012. Or, la ligne politique du gouvernement s’est révélée être en rupture avec le programme du candidat Hollande et l’accord commun. Nous avons lutté au sein de la coalition pour la réorienter, mais n’avons pas été écoutés. C’est le sens du départ de Pascal Canfin et de Cécile Duflot. Ces départs ont d’ailleurs été suivis par celui d’Arnaud Montebourg, de Benoît Hamon, de Christiane Taubira récemment et, enfin, Nicolas Hulot a refusé d’entrer au gouvernement. Cette majorité a fondu comme neige au soleil, à force de décevoir.

Pour attirer Nicolas Hulot, François Hollande était prêt à arrêter le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes… Là, il ne promet plus qu’un référendum local. N’y a-t-il pas une instrumentalisation des dossiers emblématiques de l’écologie ?

Une primaire, des incertitudes

L’appel « Notre primaire » fait le plein… des organisations. Lancé dans Libération, le 11 janvier, par une quarantaine d’intellectuels et de personnalités, dont Julia Cagé, Daniel Cohn-Bendit, Marie Desplechin, Yannick Jadot, Thomas Piketty et Michel Wieviorka, l’appel « pour une primaire à gauche » plafonne à 78 500 signataires, mais a persuadé la direction du PS de se joindre à son comité d’organisation, qui comptait déjà des représentants d’EELV, de Nouvelle Donne et du PCF. La délégation du PS, qui a reçu le 11 février les initiateurs de l’appel, dit avoir été convaincue que ces derniers n’étaient pas hostiles à la participation de François Hollande à cette primaire. Ce que récuse le PCF, qui, comme Ensemble !, ne l’envisage que pour désigner un candidat commun aux opposants à la politique du gouvernement. Autre question à trancher : les débats de cette primaire doivent-ils définir un projet et choisir le meilleur candidat pour le porter, ou se contenter d’auditionner des candidats, comme le défend Daniel Cohn-Bendit ? L’issue de cette « aventure », dixit Cécile Duflot, est loin d’être écrite.
Je crois que Nicolas Hulot avait bien compris qu’il aurait droit à un ministère de la « parole verte » mais qu’il n’aurait pas les marges de manœuvre pour agir vraiment. En vérité, depuis le début de ce quinquennat, le décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait est de plus en plus important. Le double discours est permanent. François Hollande a une conception de la pratique politique assez cynique. Il gère la France et sa majorité comme un prince dans un palais florentin. Avec ce triste remaniement, il utilise des écologistes prêts à monter dans le bateau pour être ministre, sans qu’ils aient la garantie de mener des politiques écologistes. L’écologie n’imprégnera pas davantage les politiques publiques de notre pays. C’est ce qu’on a vu avec la COP 21 : les discours étaient ambitieux, mais où sont les actes ?

Pourtant, votre parti a salué le bilan de cette COP 21 quand les associations écologistes l’ont critiqué…

Nous avons salué une première étape diplomatique. Il y a eu une unanimité des pays du monde autour d’objectifs. Certes, on peut juger ces résultats insuffisants, mais il y aura désormais une jurisprudence diplomatique sur la question de la gouvernance en matière environnementale. Ce qui est dénoncé, c’est que les accords ne sont pas assez contraignants. De toute façon, ce n’est pas avec des COP qu’on sauvera la planète, mais avec un changement des pratiques. Pour cela, il faut des gains diplomatiques et des États qui assument leurs engagements. C’est toute l’incohérence de ce gouvernement, qui célèbre la victoire diplomatique de la COP 21 mais n’en tire aucune conséquence en termes de politique concrète.

Que pensez-vous du référendum sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?

L’enjeu de Notre-Dame-des-Landes a une charge symbolique majeure. Ce projet coche toutes les cases de la folie du système dans lequel on est, comme si la modernité, c’était de brûler toujours plus de kérosène. Cela n’a plus aucun sens au XXIe siècle. L’incapacité du chef de l’État à trancher sur une question aussi symbolique est saisissante. Comme il le fait souvent, il dissimule son incapacité à choisir par un rideau de fumée. S’il y avait référendum, ce ne serait apparemment qu’à l’échelle du département. Cela démontre que ce n’est pas un projet structurant, mais un projet has been de développement local. On fait passer pour une initiative moderne quelque chose d’archaïque. Si référendum il y a, nous mènerons la bataille de la pédagogie pour démonter les mensonges et les sottises énoncées.

Du point de vue organisationnel, ce remaniement vous fait perdre votre groupe au Sénat…

Je ne suis pas sûr que le groupe disparaisse avec le départ de Jean-Vincent Placé. D’ailleurs, cette opération est d’abord une démonstration de faiblesse pour François Hollande : il n’a que des prises de guerre isolées et ne parvient pas à convaincre le peuple écologiste.

Cet épisode ne marque-t-il pas le prix à payer de l’élargissement des Verts en 2009 avec EELV ? Certains militants font cette analyse…

L’élargissement n’est pas un problème, au contraire. Moi, je plaide pour un grand parti écologiste à vocation majoritaire, rassemblant au-delà de nos rangs traditionnels. La difficulté vient davantage du fait qu’au lieu de nous affirmer comme force originale, nous acceptons trop souvent d’être les jouets des clivages anciens. Nous ne devons être inféodés ni à la social-démocratie, ni à la gauche de la gauche. Nous sommes porteurs d’une originalité qui n’est pas soluble dans l’histoire des gauches.

Jean-Luc Mélenchon mord sur l’écologie. Son dernier livre est une charge violente contre le productivisme, il place la « règle verte » au cœur de son projet de VIe République…

Je suis un environnementaliste. Ce qui signifie que le clivage majeur à mes yeux, c’est productivisme/anti-productivisme et non plus capitalisme/anti-capitalisme. Que Jean-Luc Mélenchon le saisisse est une bonne nouvelle. La vieille gauche doit faire sa mue pour embrasser les changements du monde. Mais au-delà de la question écologique, il y a des divergences profondes entre Jean-Luc Mélenchon et nous, sur l’Europe notamment. Je ne crois pas que le salut viendra d’un repli des pays sur eux-mêmes. Cet espace européen est le levier essentiel pour mener des combats. On ne construit pas l’écologie dans un seul pays. Pour pouvoir lutter sur les questions environnementales, il faut agir au niveau local, bien sûr, mais il faut aussi une stratégie au niveau global, ce que permet l’Union européenne. La montée du national-populisme oblige à se déterminer clairement. Les anti-Européens progressent, et la tentation de faire entendre à leur suite une petite musique souverainiste existe. Mais je crois qu’il faut tenir bon et ne rien céder sur nos ambitions européennes. Je me sens plus proche de la démarche d’un Varoufakis qui veut réorienter la construction européenne, et non l’abattre. Par ailleurs, au niveau national, je ne crois pas non plus à la ligne « Front contre Front ». Pour lutter contre l’extrême droite, il faut retisser du lien plutôt que de jouer à la surenchère du verbe et du volume.

Le congrès d’EELV est prévu en juin. Est-il encore possible de le mener dans des conditions sereines ?

Cela est plus que jamais nécessaire. Mais la sérénité ne se décrète pas. Nous devons enfin tirer un bilan partagé sur notre participation à l’exercice du pouvoir. Et nous remettre en question. Nous ne devons pas nous contenter d’être des lanceurs d’alerte. Pour que nos idées s’appliquent, désormais, il s’agit d’être dans une logique de conquête du pouvoir. Le congrès à venir doit donc servir à affirmer l’écologie politique comme force indépendante, libre et positive. Cela ne veut pas dire qu’on ne cherche plus de partenaires, mais il faut viser une forme de leadership. Ce ne sera pas possible sans redevenir attractifs, ce qui veut dire refonder notre mouvement pour le rendre plus solide et plus dynamique. Notre mouvement doit s’ouvrir, et devenir un bien commun mis au service de la société civile écologiste. Le chantier est énorme : pour relever le défi, nous devons réapprendre à travailler de manière plus collective.

Des élus EELV sont engagés dans le processus des primaires. Le parti lui-même y est-il engagé ?

Si notre parti doit s’engager plus avant, ce sera au moment du congrès. L’appel de la primaire révèle que nombre de militants et de citoyens veulent autre chose que le brouet infâme qu’on veut nous forcer à avaler dans les mois à venir. Je sens une envie de renouveau. Refaire le casting de 2012 en 2017 serait donc une faute grave vis-à-vis des Français et de la démocratie. Je soutiens donc cet appel à la primaire, et milite pour une candidature écologiste. Mais je note que les différents projets de primaires ne délimitent pas tous le même espace. Les initiateurs doivent encore se mettre d’accord sur la cohérence d’une éventuelle participation de personnalités comme Manuel Valls, qui défend la déchéance de nationalité.

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