La double rupture de Mélenchon

C’est au « peuple » et non au Front de gauche que le député européen a « proposé » sa candidature.

Michel Soudais  • 17 février 2016 abonnés
La double rupture de Mélenchon
© Photo : BERTRAND GUAY/AFP

Il a remis sa cravate rouge. Mercredi 10 février, au JT de 20 heures de TF1, Jean-Luc Mélenchon a « proposé » sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. Sans passer par la case primaires. « C’est le peuple qui va en disposer. Je ne demande la permission à personne, je le fais hors cadre de partis », a-t-il indiqué, en se déclarant toutefois « ouvert à tout le monde, les organisations, les réseaux, mais les citoyens d’abord. »

Pour le socialiste Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, Jean-Luc Mélenchon « a fait le choix d’annoncer sa candidature très longtemps à l’avance, pour être sûr qu’il n’y ait pas de primaire ». Si l’explication a le mérite de la simplicité, elle en présente aussi tous les défauts : fausse, elle passe à côté des vraies raisons de cette déclaration à quatorze mois de l’échéance.

Certes le fondateur du Parti de gauche a toujours été hostile aux primaires ; depuis celle qui avait désigné Romano Prodi leader de la gauche italienne. Son résultat « est toujours l’alliance sur le moins-disant centriste au nom du rassemblement le plus large », écrivait-il en 2007. « La primaire est une machine à enterrer les questions de fond », déclarait-il encore le 6 février à Mediapart. « C’est le PMU : c’est jouer le mieux placé. Et qui va décider qui est le mieux placé ? Les sondages. » Mais Jean-Luc Mélenchon avait imaginé et réfléchi son plan de bataille pour 2017 bien avant que Libération ne publie son appel pour une primaire le 11 janvier.

Son entrée en campagne coïncide avec la sortie d’une édition revue et augmentée de L’Ère du peuple (Pluriel), un essai sorti à l’automne 2014, qu’il a présenté lundi soir à Paris comme sa « carte d’identité du moment ». Elle prend appui sur une plateforme en ligne (jlm2017.fr) qui expose sa démarche, recueille soutiens, fonds et contributions à son projet de programme. Parallèlement, À Gauche, la feuille hebdomadaire qu’il a créée il y a plus de vingt-cinq ans, a changé de maquette et de titre pour devenir L’Heure du peuple.

Loin d’être improvisée, la déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon marque une double rupture. D’abord avec ce qu’il a appelé dans un entretien aux Inrocks (14 décembre) les « appareillons » du Front de gauche. Qu’il rend responsables de l’enlisement de « l’autre gauche », et dont il s’émancipe au moment où la direction du PCF et celle d’Ensemble ! privilégient les discussions avec tous ceux qui à gauche sont plus ou moins en opposition à la politique du gouvernement, en vue de parvenir à une candidature commune à l’issue d’une hypothétique primaire.

Le lundi 15 février, évoquant « ses amis qui le dispenseraient par leurs intentions d’avoir des ennemis », il a justifié sa démarche post-Front de gauche en lançant, faussement interrogatif : « On aurait des raisons de plastronner devant le bilan des actions héroïques du Front de gauche perdu dans le margouillis de ses alliances à géométrie variable, illisibles, incompréhensibles, dirigé par des dirigeants qui consacrent plus de temps à se faire des croche-pieds et à se donner des tacles qu’à essayer d’entraîner les autres ? »

L’ancien candidat du Front de gauche en 2012 n’a jamais caché son intention de rempiler. Le 24 juin dernier, dans un entretien au Monde, il se désespérait déjà d’avoir « échoué à convaincre le Front de gauche d’endosser dans la durée et le concret ses propres mots d’ordre révolutionnaires comme celui de VIe République ». Après le premier tour des régionales, il avertissait qu’« une présidentielle menée dans les mêmes conditions [était] condamnée d’avance » (Le Monde, 10 décembre). Et expliquait qu’à ses yeux cette élection devait être, pour le Front de gauche, « le moment de régler tous les problèmes d’un coup, celui de la forme de [son] organisation commune et de la participation des citoyens à l’action collective ». Dès lors, il était clair qu’il refuserait d’en passer par la course d’obstacles à laquelle il avait été obligé de se plier en 2011, quand le PCF, force dominante d’un petit Front de gauche né deux ans plus tôt, lui avait imposé ses conditions.

Sa démarche, exposée sur son site de campagne, et appuyée mardi matin par plus de 40 000 personnes, est ainsi un « appel à l’engagement », moins individuel que ce qu’en disent ses critiques, nombreux. Elle vise à lancer « un mouvement citoyen pour nous permettre d’agir collectivement, sans affiliation obligée à un parti politique », écrit-il. À charge pour les signataires de décider ensuite « s’ils veulent en faire un mouvement politique permanent ».

La seconde rupture est d’ordre sémantique et politique. Sa candidature ne fait plus référence à « la gauche », mais au « peuple », qu’il définit dans L’Ère du peuple comme « la multitude urbanisée prenant conscience d’elle-même à travers des revendications communes enracinées dans les soucis quotidiens de l’existence concrète ». Cette substitution part du fait que le mot « gauche » a été abîmé et vidé de son sens par François Hollande. Elle vise à se démarquer, a-t-il expliqué le 24 janvier en clôture de deux jours de séminaires consacré au Plan B, de « tous ces gens, inclus EELV, […] qui pétaradent d’allégresse à l’idée d’approfondir ce processus magique » de l’Union européenne quand il soutient au contraire que les traités européens empêchent toute véritable politique de gauche et écologiste. « Nous sommes supposés appartenir au même code génétique historique. C’est la “gôche”. Celle des beaux quartiers qui trouve merveilleux de pouvoir passer d’un pays à l’autre sans avoir à faire de change grâce à l’euro », ironisait-il avant de lancer : « Ceci n’est plus notre camp ! »

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