Le film d’adieu de Chantal Akerman

No Home Movie est l’œuvre posthume de la cinéaste décédée le 5 octobre. Elle l’avait consacrée à sa mère, elle-même sur le point de disparaître.

Christophe Kantcheff  • 24 février 2016 abonnés
Le film d’adieu de Chantal Akerman
No Home Movie, Chantal Akerman, 1 h 55.
© Laszlo Ruszka/INA/AFP

« Respire maman, ne me lâche pas, respire. Ne me lâche pas, pas encore. Je ne suis pas prête et peut-être que je ne serai jamais prête. » Ces phrases sont extraites de Ma mère rit, que Chantal Akerman a publié en 2013 [^1], un autoportrait écrit au fil de l’émotion par la cinéaste disparue le 5 octobre dernier.

Impossible de ne pas citer ces mots – et on pourrait en citer d’autres encore tant la figure de cette mère aimée traverse tout le livre – alors que sort l’ultime film de -Chantal Akerman, No Home Movie. Elle y montre sa mère dans son appartement de Bruxelles, qu’elle ne quitte plus que pour une brève promenade.

À celle-ci, qui s’étonne que sa fille ne cesse de la filmer, la cinéaste répond qu’elle se sert de sa caméra au quotidien. Chantal Akerman n’a pourtant pas mis d’autres images dans No Home Movie, sinon celles d’une région aride, avec çà et là des habitations regroupées. Sans doute prises en Israël. Le premier plan du film est sur cette terre balayée par un vent violent. Un plan très long, insistant, résistant, qui imprègne plus qu’il ne cherche à signifier.

Dans l’appartement, -Chantal Akerman va et vient avec sa caméra. De la petite chambre en désordre où elle dort à la terrasse où elle filme en contre-plongée le jardin délaissé en cette saison. Les deux femmes se retrouvent le plus souvent dans la cuisine, cette pièce d’une si grande importance dans la filmographie de la cinéaste. Elles mangent et parlent de choses et d’autres, en viennent à évoquer le passé, la persécution des juifs en Belgique pendant la guerre, la manière dont sa mère a vécu cette période, rescapée d’Auschwitz. Elles se disent des mots d’amour. Des mots tout aussi nombreux quand Chantal Akerman appelle sa mère par Skype lors de ses déplacements.

Ces tête-à-tête dans la cuisine ou par ordinateurs interposés sont teintés d’une certaine gaieté. On ne sait pas si ces deux-là se sont toujours autant parlé. Quoi qu’il en soit, la cinéaste capte ici des scènes de legs de mémoire, de transmission. Mais, petit à petit, le film enregistre aussi un effacement, un mouvement de disparition. La mère est plus faible. Il faut l’empêcher de s’endormir à tout bout de champ. On devine la fin proche.

No Home Movie montre deux femmes qui ne sont plus. Chantal Akerman s’est suicidée un an et demi après la mort de celle qui l’avait mise au monde. Son hypothèse était juste : elle n’était pas prête. a

[^1] Mercure de France, 2013.

Cinéma
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