Nicole Ferroni : Ironie chronique

Agrégée ayant quitté l’enseignement, s’est rapidement imposée sur les planches et dans les médias. Avec un sens aiguisé de l’absurde ordinaire.

Jean-Claude Renard  • 17 février 2016 abonnés
Nicole Ferroni : Ironie chronique
Nicole Ferroni, tous les mercredis, dans la matinale de France Inter, à 8 h 55.
© Moland Fengkov/Haytham Pictures pour Politis

Un mardi ordinaire ou presque. Ce jour-là, Nicole Ferroni intervient au Théâtre du Gymnase dans un reportage consacré à l’héritage de Coluche. Puis elle enchaîne avec un déjeuner de travail, avant de plancher sur une émission de télé, enfin à la rédaction de sa chronique du lendemain, dans la matinale de France Inter. Emploi du temps dynamique et dynamité s’il en est. Qui lui ressemble furieusement. Elle est volubile, accompagne chaque mot d’une gestuelle en mouvement, mouline des bras, portée par un débit verbal vif, un phrasé coloré. Et beaucoup d’esprit. Ségolène Royal en fera (amèrement) l’expérience lorsque, dans son billet d’humeur, Nicole Ferroni lui rappellera le scandale des boues rouges déversées dans la Méditerranée, dénonçant « le maintien de l’emploi au prix de l’empoisonnement, ce qu’on appelle “l’emploisonnement”, qui consiste à sacrifier la santé d’une partie de la population pour permettre à celle qui n’est pas encore malade d’aller travailler ».

Pareil mauvais esprit quelques semaines plus tôt, face à Najat Vallaud-Belkacem. « Vous supprimez les classes européennes, certaines classes bi–langues, des heures de projet éducatif en dehors des cours… Bref, vous luttez contre l’uniformité en uniformisant ! Et pendant que les généraux tentent de gagner leurs galons, ce n’est pas eux qui sont au front mais de fantastiques fantassins qui aiment tellement leur métier qu’ils continuent, avec leur programme fondu, leur salaire gelé ! » Madame la ministre en est restée médusée.

À vrai dire, l’Éducation nationale, ça l’inspire, Nicole Ferroni. C’était le cas lors de sa toute première chronique radio, fin août 2013, s’interrogeant sur l’utilité des élèves de CP. « On s’apprête à accueillir des centaines d’analphabètes […] qui vont profiter des infrastructures, du personnel scolaire, payé par le contribuable, alors qu’ils n’ont aucune compétence à apporter à la France. Il suffit de discuter avec un élève de CP pour se rendre compte de l’étendue des dégâts. Ce sont des gens qui n’ont aucun recul sur la société à part Bob l’éponge. On dirait qu’ils ont 6 ans d’âge mental. On tolère ça parce qu’ils ont 6 ans tout court, mais si ça ne tenait qu’à moi, ça ferait longtemps que je les aurais reconduits à la frontière. Laquelle… Je ne sais pas… » Un brin de provocation, un fagot d’ironie et d’absurde, maniant le saugrenu.

Le billet d’humour, c’est une vocation tordue, qui a pris son temps et ses chemins de traverse, chez cette jeune femme de 33 ans, née à Casablanca d’une mère d’origine alsacienne, professeure d’allemand, et d’un père d’origine italienne, de Ligurie, enseignant en chimie, -coopérant, entraînant sa famille jusqu’au Maroc, avant de débarquer à -Marseille. Nicole Ferroni suit des études de sciences de la vie et de la Terre (SVT), jusqu’à l’agrégation et l’enseignement. « C’est un choix qui repose sur une loyauté familiale. Inconsciemment, j’ai dû vouloir faire plaisir à mes parents, ravis d’enseigner, en tout cas ma mère. Sauf que je n’avais pas réalisé qu’elle était prof d’allemand : elle avait des classes de huit ou dix élèves. Prof de SVT, ça n’allait pas être la même chose ! »

En effet. Dès sa première année, la jeune enseignante est affectée dans le quartier du Merlan, à Marseille, « avec des élèves de 14 ans en 6e, et un tiers de 3e qui parlaient mal français, certains pas du tout. J’étais écartelée entre ce qu’on attendait de moi à l’IUFM et ce que je pouvais faire en réalité, entre le système et le terrain. J’allais être jugée sur des trucs qui maintenant me paraissent proches du -harcèlement moral, sur des critères différents, alors que mes élèves butaient sur la moindre phrase ! In fine, je faisais des choses auxquelles je ne croyais pas du tout ! Mais être le fusible m’a appris l’impact des décisions politiques nationales sur le terrain. »

L’année suivante, changement de décor, dans un lycée international, à Luynes, en Touraine. Nicole Ferroni fait face à « certaines élèves qui ne voulaient pas poser leur sac par terre parce que c’était un sac Longchamp ! » dit-elle, en gardant son sac à main sur ses genoux, avouant « un symptôme de vieille dame ». « La grande question du lycée, c’était de savoir où placer les tableaux noirs inter-actifs ! Dans les quartiers Nord de Marseille, chaque prof avait sa ramette de feuilles dans son casier, on était rationnés, je n’avais même pas un microscope pour deux élèves. Tout mon passage à l’Éducation nationale a forgé mon point de vue politique et mon regard sur la société. »

Expérience néanmoins douloureuse. « J’ai détesté la vivre, mais il est important que je l’ai vécue. » Quatre ans durant. Jusqu’à voir son poste non renouvelé. Moments d’interrogations, de doutes. Parce que, parallèlement, Nicole fait beaucoup de théâtre, en troupe, en amateur, se plaît à jouer des personnages. « Je ne me suis jamais posé la question de l’écriture. C’est venu par inadvertance, à la suite d’un concours de slam, où je me suis rendue sans texte, au milieu de rappeurs et de vieilles dames. J’y ai participé en jouant sur un texte dans lequel il fallait intégrer dix mots imposés. » Ça ressemble à une révélation, qui l’encourage à poursuivre, « pas forcément des textes drôles ou engagés », jusqu’à « s’auto-employer », en créant son premier spectacle (toujours en tournée), L’Œuf, la poule ou Nicole ? [^1] La comédienne y joue cinq personnages, affreux, sales et méchants, gentiment. Absurdes.

À la veille de la rentrée scolaire 2011, Nicole Ferroni passe à l’acte. Et démissionne. Pour faire rire. Ou comment changer sa vie en destin. « C’est prétentieux mais, du coup, très risqué, parce qu’on promet quelque chose. Si bien que, lorsqu’on échoue, c’est pathétique. Mais on sait que, lorsque le public rit, il a reçu le message, cela joue un rôle d’accusé de réception. » Tout va très vite, au diapason de son (haut) débit verbal, plus Ferroni que Nicole, plus italo-marseillais que vieille dame. Elle postule pour participer à une nouvelle émission de Laurent Ruquier, « On n’demande qu’à en rire », poste deux vidéos sur Internet. Sans réponse. Quelques mois plus tard, une amie la recommande à son oncle, directeur du Festival du rire de Puy-Saint-Vincent (Hautes-Alpes). Le hasard refuse le retors : un humoriste a dû renoncer à jouer. Elle le remplace au débotté. Et glane le prix du public.

On est déjà dans l’ironie de l’histoire. D’autant que dans ce public, il y a deux responsables de l’émission de Ruquier. Nicole Ferroni fait ses débuts sur le petit écran dans la foulée. Impact immédiat. La comédienne se rappelle que, dans la nuit suivant son passage à la télé, elle s’est « retrouvée avec trois cents demandes d’amis sur Facebook. Je pensais à un bug ! » En 2012, elle tient une chronique dans l’émission d’Isabelle Giordano, sur France Inter, « Les Affranchis », après en avoir été l’invitée pour évoquer sa reconversion. Et elle ne laisse pas indifférent. Invitée virant chroniqueuse. Encore une ironie de l’histoire.

À la rentrée 2013, Nicole Ferroni se voit donc confier une chronique dans la matinale d’Inter. On pourrait parler d’ascension fulgurante. Ou plutôt de « promotion fulgurante, corrige-t-elle, parce que c’est la matinale la plus écoutée, et donc la plus exposée. J’ai d’abord refusé. Il me semblait que je n’avais pas les outils pour y aller ». Ça ne se voit pas, ou ça ne s’entend pas. Travail oblige. Jubilatoire pour elle. « On a la chance de s’adresser à un invité sans être interrompu. On n’est pas dans l’interview, on n’a même pas le devoir de neutralité, et j’ai le droit de dire ce que je veux, pendant plus de trois minutes. C’est inestimable, et je ne peux pas ne pas saisir cette chance de m’adresser directement aux décisionnaires. »

Michel-Édouard Leclerc, Florian Philippot ou Antoine Frérot (patron de Veolia) en savent quelque chose, confrontés à cette verve sans révérence, cette langue qui jongle avec les sons, les allitérations, les rimes, le double sens des mots, un pêle-mêle qui permet de faire entrer l’oralité dans un texte toujours très écrit, oscillant entre Raymond Devos et Jacqueline Maillan. Si Nicole Ferroni savoure la langue du premier, elle ne cache pas son admiration pour la seconde, un modèle découvert dans un documentaire, « un extrait de La Conférencière, racontant son enlèvement par un yeti. On était au moment de l’explosion du stand-up, mais c’était ça dont j’avais envie, faire de l’absurde quelque chose de crédible, emmener les gens très loin avec une certaine consistance ».

Pour ça, la formation en SVT aide beaucoup. Parce que « tout a partie liée à l’étymologie. Il s’agit de décrypter. C’est un travail que je faisais déjà avec mes élèves et que je poursuis. C’est nécessaire pour comprendre ce qu’on raconte, même pour parler de lithosphère et d’asthénosphère. Ça ouvre un champ lexical énorme. Et il est bon de rappeler à un ministre du Travail que le mot “travail” désigne un instrument de torture à l’origine, ou qu’en physique cela signifie produire du résultat ! »

L’étymologie comme outil. Mais pas seulement. Nicole Ferroni se targue de parents particuliers. « Ma mère est la plus grande humoriste au monde, mais elle ne le sait pas, tandis que mon père est un pince-sans-rire, capable de décrocher le téléphone en disant “Service des sports du Vatican, j’écoute”. » Pas de hasard si elle vit toujours du côté de Marseille, avec ses parents, entre son besoin de nature et de mer – en évitant les boues rouges.

[^1] L’Œuf, la poule ou Nicole ? En tournée : nicoleferroni.com

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