À quoi sert la loi travail ?
Le mobile : maintenir constante la part des profits.
dans l’hebdo N° 1393 Acheter ce numéro
L’avant-projet de la loi sur le code du travail s’ordonne autour de la mise en cause des 35 heures, du plafonnement des indemnités prud’homales et de l’extension du champ du licenciement économique. Il n’instaure pas le contrat de travail unique, mais n’en poursuit pas moins l’objectif d’accroître la flexibilité du marché du travail. L’argument « café du commerce » est le suivant : en facilitant leur divorce, on faciliterait le nombre de mariages entre employeurs et salariés ! Dans les comparaisons internationales faites par l’OCDE, aucun lien entre la législation protectrice de l’emploi et les performances macroéconomiques n’est pourtant avéré. Alors, à quoi sert cette loi ?
Celle-ci prétend compléter l’arsenal des mesures encourageant « l’offre » et inaugurées par le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), dont l’objectif était de restaurer le taux de marge des entreprises qui s’était réduit de trois points après la crise de 2008. Cette baisse n’est en aucun cas liée à une quelconque tension sur les salaires, gelés dans le secteur public comme dans le secteur privé, ni à un relèvement intempestif des cotisations patronales. Elle est liée à une chute de la demande, entraînant une baisse du chiffre d’affaires des entreprises. À masse salariale inchangée, le taux de marge diminue dans ce cas mécaniquement, parce que la productivité se détériore à court terme. Il se redresse automatiquement lorsque l’activité des entreprises redémarre. Ce phénomène est désigné en macroéconomie par le terme de « cycle de productivité ». Il est possible de réduire, voire de supprimer, ce cycle au cours duquel le taux de marge fluctue, en « adaptant la main-d’œuvre effective à la main-d’œuvre désirée », nous dit-on. Soit en favorisant le divorce lorsque l’argent ne rentre plus, en bas du cycle économique. Tel est le véritable mobile des mesures réclamées par le Medef : maintenir constante, en toutes circonstances, la part des profits dans la valeur ajoutée. Comme si le CICE, grâce auquel la part des profits a retrouvé son niveau d’avant la crise, ne suffisait pas.
La nouvelle définition du licenciement économique, autorisé en cas de « baisse durable de l’activité de l’entreprise », illustre ce motif de la loi travail. Le plafonnement des indemnités prud’homales décomplexera les employeurs de se séparer de leurs « moutons noirs » en période de mauvaise conjoncture. Enfin, la baisse de la majoration des heures supplémentaires (de 25 à 10 %), rendue possible par la négociation d’entreprise, réduira le coût du travail au-delà de 35 heures. La loi El Khomri confirme la volonté de l’exécutif de saper le principe de faveur hiérarchique, pilier de notre système de relations professionnelles, par lequel un accord d’entreprise doit nécessairement être plus favorable au salarié que la norme fixée par la loi ou à l’échelon supérieur.
Le seul résultat tangible de la politique de l’offre est la baisse de la part affectée à la rémunération de la force de travail. Rien ne dit qu’elle engendrera une reprise dans le cycle et l’inversion attendue de la courbe du chômage. Il faudrait pour cela que les profits d’aujourd’hui soient les investissements de demain et les emplois d’après-demain !
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.