Au lieu de signer, t’aurais pu économiser
Est-ce sa faute, à Michèle Delaunay, si les pétionnaires n’ont pas su se constituer un matelas de millions ?
dans l’hebdo N° 1394 Acheter ce numéro
Michèle Delaunay, qui fut (entre 2012 et 2014) ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie – et qui est aujourd’hui députée socialiste de la deuxième circonscription de la Gironde –, semble n’apprécier qu’assez peu qu’on émette, sur l’opportunité qu’il y aurait à réformer le droit du travail dans le dessein de l’aliéner tout entier aux exigences du Medef, des avis trop différents de celui de Manuel Valls. Ainsi, lorsqu’elle a constaté qu’une immense foule avait signé, en un temps record, la pétition (en ligne) contre le projet de loi El Khomri lancée il y a quinze jours par Caroline De Haas et al., Michèle Delaunay a tweeté ce raffiné commentaire : « Du million de signataires pour l’abolition de la loi travail, combien qui n’en ont pas lu la moindre ligne ? » Ce que découvrant, des internautes (dont je fus) ont formé l’hypothèse que ces 86 caractères [^1] sentaient peut-être un peu le mépris – de classe, par exemple. (Ou bien n’était-il que de caste ?)
Résultat : Michèle Delaunay s’est, derechef, fâchée tout rose, puis a mis sur son blog un billet où elle s’offusquait donc de ce qu’on ait pu lancer contre elle cette « accusation de mépris ». Puis elle a, dans l’élan des échanges que cette publication n’avait nullement taris, confectionné ce nouveau tweet, non moins goûteux que le précédent : « Il n’y a pas contrat plus précaire que celui d’élu. » Puis, enfin, elle a répondu à un contradicteur qui outrait son effronterie jusqu’à lui faire grief de s’autoportraiturer en « précaire avec 12 000 euros par mois » qu’il avait tout « faux », puisqu’elle ne gagne, en vérité, que « 5 900 euros par mois ».
Et certes : dans un pays où le salaire (net) mensuel moyen des ouvriers se monte, selon l’Insee, à 1 653 euros, cela fait une rémunération relativement cossue – et d’autant plus rebondie qu’elle s’augmente, dans le cas des député(e)s, de divers avantages et indemnités d’un montant cumulé de plusieurs milliers d’euros. Mais, au surplus, il se trouve que Michèle Delaunay a déclaré, il y a quatre ans, lorsqu’elle a été nommée ministre, un patrimoine de 5,4 millions d’euros, constitué principalement de biens hérités. Soit un pécule qui doit, se dit-on, l’aider un peu, tout de même, à surmonter la (si compréhensible) angoisse de sa précarité parlementaire (à 5 900 par mois) – et qui pourrait peut-être, aussi, l’inciter à faire montre d’un petit surcroît de modestie lorsqu’elle tance en lecteurs hâtifs (on n’ose supposer qu’elle les pense analphabètes) les salarié(e)s qui s’alarment de ce qu’un gouvernement de « gauche » prétende les livrer tout liés aux appétits du patronat.
Mais, après tout, est-ce, au fond, sa faute à elle si ces imprévoyant(e)s pétitionnaires, trop occupé(e) s, sans doute, à boucler leurs fins de mois, n’ont jamais vraiment pris le temps de se constituer le matelas de millions patrimonial qui leur aurait permis d’envisager avec beaucoup plus de sérénité le radieux avenir que leur promet le « socialisme » pierregattazeux ?
[^1] Espaces non compris.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.