Comment débattre du revenu de base ?
Pour certains, c’est « la porte ouverte à l’ubérisation ».
dans l’hebdo N° 1395 Acheter ce numéro
Le revenu de base est un sujet très controversé à gauche et une idée défendue par certains néolibéraux, ce qui n’arrange rien. Même du côté des objecteurs de croissance, on trouve des farouchement pour et des farouchement contre : pour le mensuel La Décroissance, c’est même un « revenu de soumission généralisée ».
Faut-il désespérer de pouvoir en débattre tranquillement, en discutant et en écoutant les arguments de part et d’autre ? En aucun cas. De tels débats sans a priori et sans invectives ont d’ailleurs pu être organisés ici ou là. Mais, pour pouvoir, sinon converger, en tout cas se mettre d’accord sur les points de désaccord à creuser, il ne faut s’enfermer ni dans la technique comptable (qui viendra ensuite) ni dans des théories économiques. Il vaudrait mieux commencer par les finalités humaines et sociales du revenu de base (RB) telles que ses avocats les mettent en avant.
Dans un premier temps, pour ses partisans de gauche, on trouve les suivantes. D’abord, l’éradication de la grande pauvreté des revenus (moins de 833 euros pour une personne seule si le seuil de pauvreté est à 50 % du revenu médian) et une forte réduction de la pauvreté au sens usuel (moins de 1 000 euros pour une personne seule). Autant dire qu’un RB à 450 euros est loin du compte. Ensuite, la réduction des inégalités – comme objectif mais aussi comme moyen de financer l’ensemble. Certains projets de RB ne remplissent pas ce critère, d’autres si. Enfin, mettre un terme à la stigmatisation des pauvres et des chômeurs ainsi qu’à l’idéologie de « l’assistanat ». En finir aussi avec le non-recours au droit à certains minima sociaux.
Dans un deuxième temps, il faut se demander, d’une part, si le RB répond bien à tous ces objectifs ; d’autre part, s’il fait courir ou non des risques de dérives. Pour les économistes Denis Clerc et Michel Dollé, dans La Croix du 16 février, ce serait « la porte ouverte à l’ubérisation ». Il est probable qu’ici il faudra faire le tri entre des projets de RB socialement indéfendables et d’autres bien mieux pensés sur ce plan, parce que sans atteinte à la protection sociale existante. Mais, même pour ces derniers, on peut douter qu’ils mettent fin à la stigmatisation des « sans-emploi » qui vivraient du seul RB par choix ou par contrainte.
Dans un troisième temps, il faut parler financement, et en particulier refonte de la fiscalité, pour pouvoir verser à tout le monde un même montant décent, ce qui exige des centaines de milliards d’euros. Là encore, on trouvera des projets socialement régressifs, où les plus riches sont les grands gagnants, et d’autres qui réduisent vraiment les inégalités.
En conclusion, la question peut être posée : peut-on atteindre les grands objectifs précédents autrement que par un RB versé à tous, riches comme pauvres ? Ce n’est pas exclu si l’on parvient à combiner un fort relèvement des minima sociaux (par exemple un RSA à 600 ou 700 euros dans un premier temps) et des moyens humains importants en accompagnement. Lesquels permettraient de réduire de façon drastique le non-recours, ce phénomène énorme dont on connaît les modalités : la non-information, la non-demande, la non-réception. Alors, bons débats !
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.