Crise migratoire : L’Europe veut déléguer à la Turquie

Le projet d’accord entre Bruxelles et Ankara prévoit le renvoi de réfugiés syriens vers la Turquie.

Lena Bjurström  • 8 mars 2016
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Crise migratoire : L’Europe veut déléguer à la Turquie
© Photo : Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, le Président du Conseil de l'Europe, Donald Tusk et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 8 mars 2016. (Dursun Aydemir / ANADOLU AGENCY)

L’accord n’est pas encore signé. À l’issue de sa rencontre avec la Turquie, le 7 mars, l’Union européenne s’est donné dix jours pour finaliser les termes de l’entente, soit d’ici le prochain sommet européen, les 17 et 18 mars. Mais les propositions sur la table inquiètent déjà le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU. Il y a de quoi.

Il s’agirait de renvoyer vers le sol turc non seulement les migrants économiques entrés illégalement en Europe via la mer Égée, mais aussi des réfugiés syriens, arrivés en Grèce, qui y auraient déjà déposé une demande d’asile. En échange, l’UE s’engagerait à reprendre le même nombre de réfugiés, par des voies légales et sûres, directement depuis la Turquie, et à les installer dans les pays membres. Un syrien pour un syrien.

Sur le papier, ce mécanisme permettrait de lutter contre les départs en mer, en assurant une voie sûre et légale d’entrer sur le territoire européen. Mais cette idée repose sur la répartition des réfugiés entre les États-membres, principe de solidarité que Bruxelles a largement échoué à mettre en place depuis six mois tant les pays font preuve de mauvaise volonté.

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Certains d’entre eux ont d’ailleurs réaffirmé leur opposition. Le Premier ministre hongrois s’est à nouveau élevé contre toute « réinstallation massive », et son homologue britannique a assuré que Londres ne prendrait part à aucune politique d’asile commune.

« Le Royaume-Uni ne se joindra à aucun processus commun d’asile en Europe – nous avons une clause d’exemption solide comme le roc », a twitté David Cameron.

Sans politique commune de répartition des réfugiés entre les États-membres, les « voies légales » d’entrée en Europe risquent de n’être que des portes fermées.

Mais qu’importe, puisqu’entre temps, l’Union aura pu expulser les réfugiés vers la Turquie. « Le temps de l’immigration irrégulière en Europe est révolu », s’est félicité le président du Conseil européen, Donald Tusk.

Vraiment ? Si les voies d’accès légales vers le territoire européen sont bloquées, les réfugiés risquent surtout d’entreprendre à nouveau la dangereuse traversée de la mer Égée.

« Jamais une frontière fermée n’a empêché quiconque de tenter de la franchir », soulignait le chercheur François Gemenne dans Politis.

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Pour l’heure, l’Europe se penche sur les contreparties réclamées par la Turquie en échange de son aide dans la gestion de la crise migratoire. Ankara réclame notamment trois milliards d’euros supplémentaires, en plus des trois milliards déjà promis, mais que l’Union peine à rassembler. Le gouvernement turc veut surtout accélérer les négociations pour supprimer « d’ici juin » les visas pour les turcs voyageant dans l’espace Schengen, et ouvrir de nouveaux chapitres de négociations sur son adhésion à l’UE. Externaliser ses responsabilités a un prix.

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