La Pologne refuse les migrants

Le nouveau pouvoir est ultra-conservateur et nationaliste. Ses opposants craignent un isolement du pays sur la scène européenne. Reportage.

Rachel Knaebel  • 2 mars 2016 abonné·es
La Pologne refuse les migrants
© Photo : JANEK SKARZYNSKI/AFP

Samedi 27 février, des dizaines de milliers de manifestants se sont de nouveau retrouvés dans les rues de Varsovie pour protester contre le tour autoritaire du nouveau gouvernement polonais. En octobre dernier, le parti nationaliste ultra-conservateur Droit et Justice (PIS) est sorti vainqueur du scrutin législatif et, depuis, légifère tous azimuts pour prendre la main sur la Cour constitutionnelle, les médias, la justice, etc. « Le PIS pratique la stratégie du salami. Ils prennent une tranche de liberté, puis une autre, puis une autre… Comme Poutine l’a fait, comme Erdogan le fait. On connaît le résultat, cela peut être désastreux », analyse Bartek, militant au Comité pour la défense de la démocratie (KOD), un mouvement citoyen créé après les élections pour protester contre les mesures liberticides du nouveau gouvernement.

Un café de Varsovie sert de second QG au KOD. Bartek, cadre dirigeant dans une entreprise privée, y retrouve d’autres activistes du Comité. Sont présentes Hanna, responsable du marketing dans une entreprise, Weronika et Anna, enseignantes à l’université. Ils ont entre 30 et 50 ans. Aux dernières élections, ils ont voté soit pour la Plateforme civique, un parti de centre-droit qui était au pouvoir ces huit dernières années, soit pour un nouveau parti néolibéral, Moderne. Aucun des quatre militants n’était véritablement engagé auparavant. Mais la majorité absolue obtenue par le PIS, fondé par l’ancien Premier ministre Jaroslaw Kaczynski et son défunt jumeau, a changé la donne. « Nous respectons le résultat des élections. Nous voulons simplement que le gouvernement respecte les règles », précise Bartek. Or, en quatre mois seulement, le nouveau gouvernement a plutôt fait montre de sa volonté de mettre les contre-pouvoirs au pas.

Début janvier, la Commission de Bruxelles a lancé une évaluation de l’État de droit en Pologne. Les militants du KOD, pourtant résolument pro-européens, attendent peu de cette procédure. « Car l’Europe n’est pas unie sur le sujet, regrette Weronika. Lors du débat au Parlement européen sur cette procédure, notre gouvernement avait le soutien des autres partis nationalistes. Les démocrates sont apparus affaiblis et le PIS a utilisé cette situation pour en sortir renforcé. »

Les activistes sont particulièrement inquiets de voir leur pays s’isoler de plus en plus et, surtout, d’assister impuissants à l’effondrement de l’Europe. « Je crains une Europe gouvernée par ces partis nationalistes, comme en -Hongrie, comme le PIS ici, le Front national en France ou un Pegida en Allemagne. Ils se battent ensemble pour détruire l’Europe et, ensuite, ils se -battront les uns contre les autres, dépeint Bartek. Il ne s’agit pas seulement de la Pologne. Le problème concerne toute -l’Europe.

Après la Hongrie de Viktor Orban, le PIS polonais renforce cette ligne de droite extrême qui se dessine en Europe de l’Est. Et, comme les gouvernements hongrois, slovaque et tchèque, le nouveau pouvoir polonais tient un discours violemment anti-migrants. Le gouvernement de Varsovie refuse ainsi d’accueillir les quelque 6 000 réfugiés que le plan de l’Union européenne de relocalisation de demandeurs d’asile lui avait attribués à l’automne.

« Le précédent gouvernement l’avait accepté du bout des lèvres, en catimini. C’était une erreur. Il aurait dû adopter une position claire, dire “vous voulez nous donner 6 000 réfugiés, nous en accueillerons 10 000”. Mais il fallait expliquer pourquoi il fallait le faire, que nous sommes partie intégrante de l’UE, que la solidarité européenne est importante, et comment cela allait fonctionner. Malheureusement, aucun parti n’a eu cette force », analyse Anna Wojciuk, -politologue à l’Institut des relations internationales de l’université de Varsovie.

Résultat, le PIS a fait en partie campagne sur son opposition catégorique aux réfugiés. Et a contribué à durcir encore un peu plus une opinion publique qui y était déjà peu favorable. « Beaucoup de mes amis, qui sont pourtant issus de la classe moyenne et ne sont pas défavorisés, sont contre l’accueil des réfugiés, déplore Bartek. Et pourtant, ils sont totalement opposés au PIS. » « Les gens ont peur, constate aussi Anna. J’ai demandé à mes étudiants d’écrire un essai sur le sujet. Et j’ai vu comme ils répètent les slogans anti-réfugiés. Ils écrivent des bêtises telles que “6 000 réfugiés vont mettre en danger notre culture”. Il y a cette idée que nous serions une société homogène, entièrement catholique, sans immigrants. Mais bien sûr que nous avons des immigrés en Pologne ! Et qu’est ce que c’est que 6 000 personnes ? »

Quand bien même la Pologne n’est pas un point de passage des réfugiés sur la route des Balkans, comme la Hongrie, le pays reste une porte d’entrée vers l’Union européenne pour quelques milliers d’entre eux. C’est aussi une destination privilégiée pour les Russes et les Ukrainiens qui fuient leur pays d’origine. « La Pologne accueille des réfugiés depuis 1991 déjà. Si vous considérez les chiffres, vous voyez qu’elle est un pays d’immigration, mais ce n’est pas arrivé dans l’esprit des gens », explique Agnieszka Kosowicz, présidente du Forum polonais des migrations. La petite organisation, installée à Varsovie, emploie une dizaine de personnes ; elle accompagne réfugiés et -travailleurs migrants dans la recherche d’emploi, la création d’entreprise, les démarches juridiques, leur déclaration d’impôts ou la maternité… Agnieszka Kosowicz a travaillé auparavant pour le bureau polonais du Haut-Commissariat aux réfugiés. « Pendant longtemps, la plupart de ces demandeurs d’asile venaient d’ex-Union soviétique, de Tchétchénie, du Caucase, du Dagestan, d’Ingouchie, de Géorgie, d’Arménie ou de Biélorussie. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’émigrants d’Ukraine, mais ils ne viennent pas comme demandeurs d’asile, plutôt comme travailleurs. Ils obtiennent des permis de séjour relativement facilement, mais ne reçoivent aucune aide des autorités. »

Même si les chiffres n’ont absolument rien à voir avec la situation du voisin allemand, ni avec la France, la Pologne de 2016 est loin d’être aussi étanche à l’immigration que le nouveau gouvernement de Varsovie voudrait le faire croire. En 2014, le pays avait enregistré plus de 8 000 demandes d’asile [^1]. C’était plus que l’Espagne. En 2015, la Pologne abritait plus de 3 600 personnes avec un statut d’asile [^2], dont 200 Biélorusses, 250 Syriens et plus de 3 000 Russes. Plus de 20 000 Ukrainiens, 7 000 Biélorusses, 4 000 Russes et 3 000 Vietnamiens y vivent avec des permis d’immigration classique de long séjour. Et plus de 60 000 personnes avec des permis de séjours temporaires, dont une moitié d’Ukrainiens. « Mais les gens ne perçoivent pas l’immigration comme quelque chose de positif. Ils ne comprennent pas que les migrants qui travaillent ici paient des impôts, commente Agnieszka Kosowicz. La couverture de la question migratoire dans les médias polonais est très déséquilibrée : les réfugiés et migrants sont presque uniquement décrits comme des personnes qui vont venir vous voler vos emplois, poser des problèmes de sécurité, mettre en péril l’identité de la Pologne. Le problème, c’est aussi que les réfugiés entrent peu en contact avec la population locale. Car c’est vrai que, pour la plupart des demandeurs d’asile, la Pologne est seulement un point d’entrée dans l’Union européenne. C’est un cercle vicieux, parce que les autorités font l’impasse sur les politiques d’intégration en pensant que, de toute façon, les réfugiés ne restent pas. Et, sans politique d’intégration, les gens qui arrivent ici n’y trouvent pas l’assistance nécessaire pour rester. Et ils s’en vont plus loin, vers l’Ouest. »

Le retour au pouvoir du PIS risque de ne pas arranger la situation. Si le gouvernement n’a pas encore légiféré sur la question, l’atmosphère s’est déjà durcie, témoigne Agnieszka Kosowicz. « Je vois des gens qui vivent ici depuis 25 ans, qui arrivaient à s’en sortir jusqu’à maintenant, mais qui ont la peau noire ou sont musulmans. Ils me disent que la situation devient extrêmement difficile. Des gens perdent leur emploi parce qu’ils sont musulmans. Parce que leurs collègues ou leurs employeurs disent qu’ils ont peur de travailler avec eux. » Aucun des quelque 6 000 réfugiés du plan européen n’est arrivé dans le pays pour l’instant.

[^1] Source : Eurostat.

[^2] Source : ministère polonais des Affaires étrangères.

Monde
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Europe : Le retour des murs
Temps de lecture : 7 minutes

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