Mario Giacomelli : La revanche du typographe
L’Orangerie, à Sens, présente une rétrospective Mario Giacomelli, photographe italien longtemps ignoré.
dans l’hebdo N° 1393 Acheter ce numéro
Senigallia, dans les Marches, près -d’Ancône, en bord de mer. Sens, dans la campagne de l’Yonne. Les deux villes sont jumelées depuis trente-cinq ans. Le lien aujourd’hui se fait à travers le travail de Mario Giacomelli (1925-2000), irréductiblement attaché à sa ville natale (on ne lui connaît peut-être qu’une -escapade, à Lourdes !), photographe inclassable, s’improvisant dans le genre à l’âge de 27 ans, longtemps ignoré, œuvrant seul dans son petit -atelier bordélique d’imprimeur typographe, sillonnant son territoire, muni d’un appareil photo. En homme libre.
C’est cette liberté, en noir et blanc, qu’expose l’Orangerie des Musées de Sens, avec quatre-vingt images (et autant de tirages originaux, des encadrements réalisés par l’artiste), reflets fidèles d’une production affranchie des codes, loin des théories et des enseignements, marquée par la fuite du temps, l’obsession de la mort.
Ce sont des portraits au regard fixe, des paysans au labour, des scènes de la vie quotidienne, une femme au bain, des silhouettes de passage, des citadins aux allures de Vitelloni, des paysages dans l’affrontement des reliefs, soumis aux distorsions de l’imprimeur, à ses interprétations graphiques de l’espace, nerveuses et griffées comme des eaux-fortes, livrées à coups de contrastes.
« Je crois à l’abstraction dans la mesure où elle me permet de m’approcher un peu plus du réel. » Différentes séries en témoignent ici. Celle des paysages, bien sûr. Mais encore cette rencontre esthétique entre la gravité et la légèreté, avec cette farandole de prêtres aux robes soulevées par le souffle d’une brise, l’envol d’une ronde musicale, enivrés par les flocons de neige habillant les alentours d’une église. Pareille esthétique dans la série de ces vieillards saisis dans le quotidien d’un hospice, dans la fatalité d’un réalisme exacerbé, crûment éclairés, affaiblis, épuisés, décharnés, aux visages striés, au diapason du paysage des Marches.
Des séries qui sont autant de récits détournés du réel, trempés d’angoisses, d’inquiétudes métaphysiques. Non sans laisser s’échapper des métamorphoses amusées, sans s’épargner de parfums oniriques, de sens grotesque, ni de comique dans l’existence. C’est bien le moins pour celui qui fut considéré longtemps comme un besogneux piqué d’art.