Pauvres comme jobs

Acerbe, drôle et autobiographique, Salaire net et monde de brutes livre, sous forme de série animée, un tableau juste du travail temporaire.

Jean-Claude Renard  • 9 mars 2016 abonné·es
Pauvres comme jobs
© **Salaire net et monde de brutes**, tous les jours, à 20 h 45, sur Arte, jusqu’au 1er mai. Photo : Arte

C’est un couple qui passe beaucoup de temps à la laverie automatique, ou bien reclus dans son appartement mansardé exigu. Un couple sans le sou, englué dans la précarité, rivé à son portable décroché à tout moment, en quête du moindre petit boulot, répondant aux sollicitations d’une agence, Avenir Intérim.

Des coups de fil enthousiastes, euphoriques, sûrs de proposer le « job qu’il vous faut ». Qui pour être le « nouveau visage du prêt-à-porter » (après toutefois une demi-journée de formation) ; qui pour faire le commis ou le vestiaire au raout d’une boîte de commerce ; qui pour marner dans une start-up versée dans la hotline, s’avérant une ligne porno ; qui pour livrer des pizzas, sortir en homme-sandwich ou en potiche, tenir une caisse…

Faut bien payer son loyer, acquitter ses dettes à la pharmacie, croûter enfin (une obsession du couple, qui joue régulièrement les glaneurs).

Autant de jobs confrontés aux pires assauts des pires conneries, dotés d’un taux horaire misérable. 12,80 euros x 6 heures = 76,80 euros pour passer le micro dans un séminaire pharmaceutique ; 7,01 euros x 105 heures = 736,05 euros pour préparer une immonde tambouille ; ou encore 34 euros pour tester des crèmes de soin. Pas bézef. Chaque fois, un décalage entre la proposition et la réalité du travail sur le terrain. Tant pour une assistante de vie scolaire confrontée aux méandres absurdes de l’administration, tant pour un « célèbre traiteur » qui vous promet de tourbillonner dans un bouillon de saveurs mais vous plonge dans une usine agroalimentaire enquillant ses intestins de zébu à raison de quarante cervelas par minute, dans un univers à la chaîne délétère.

Pas de hasard si ces pérégrinations sonnent juste. Elles sont inspirées de faits réels, longtemps vécus par les auteurs, Élise Griffon et Sébastien Marnier. Elle en illustratrice et scénariste, lui en auteur réalisateur avaient livré leurs chroniques sur un blog (hébergé par Libération) il y a quatre ans, avant de publier ce Salaire net et monde de brutes dans une BD (Delcourt). Plutôt que de rendre une copie tragique et amère de ce monde du travail temporaire (lequel ne manque jamais de titres pompeux et ridicules), ils ont choisi une tonalité humoristique, féroce et acerbe, maintenant déclinée en une série d’animation.

Un trait coloré et simple, dépouillé et quasi enfantin, parfois minimaliste, mais visant à l’essentiel, et rudement efficace, servant le propos. Où se bousculent, en trente épisodes de trois minutes, des patrons odieux, des supérieurs mesquins, des clients hargneux et méprisants, des employés toujours plus abusés, écrasés. Sans caricature. On s’y croirait presque.

Culture
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