Pour un féminisme anticolonial
Martine Storti dénonce l’utilisation de l’égalité hommes-femmes comme cheval de Troie d’une revendication identitaire. Manquant parfois de nuances.
dans l’hebdo N° 1395 Acheter ce numéro
Féministe, longtemps journaliste à Libération, où elle suivait le MLF, Martine Storti construit dans Sortir du manichéisme. Des roses et du chocolat une réflexion sur les crispations identitaires qui lacèrent depuis des années la société française, mais aussi le mouvement féministe. Disons-le d’emblée : on ne partage pas l’ensemble de ses positions, mais il faut reconnaître à l’auteure sa volonté de dépasser les affrontements dogmatiques reposant sur les concurrences identitaires ou l’opposition entre social et sociétal. Pour « réhabiliter l’émancipation, restaurer le collectif, retrouver l’universel », dans la fidélité aux principes d’une gauche ne craignant pas d’affronter le présent. D’où son rappel des revendications des ouvrières au début du XXe siècle – « du pain et des roses » – ou (par goût personnel) « des roses et du chocolat », allégorie de son refus d’avoir à choisir entre différents droits à conquérir, au contraire de « ceux qui s’autorisent du peuple pour mieux lui refuser les roses »…
Alors qu’elle achève ce livre, Martine Storti apprend les agressions sexuelles à Cologne, durant la Saint-Sylvestre, de centaines de femmes par des hommes, la plupart supposés migrants maghrébins, et se voit confrontée à de nouvelles « oppositions paresseuses ». En gros, sexisme versus racisme. Elle se souvient alors, dans les années 1980, de « [son] étonnement face à la rapidité avec laquelle s’imposa le questionnement sur l’identité française », lancé d’abord par le Front national, très vite repris par une grande partie de la droite. Bientôt, la brochette de nos « néo-réacs » médiatiques – Alain Finkielkraut, Renaud Camus ou Éric Zemmour – s’en empare, défendant une « sorte de nationalo-féminisme », et « officialise un affrontement qui prend les femmes comme objets et otages ». L’émancipation des femmes est présentée comme une « composante » de notre identité occidentale, contre des « barbares » venus d’outre-mer (Méditerranée en premier lieu).
Prêtant davantage à caution, Martine Storti dénonce alors les positions en retour des « tenants du postcolonialisme ou du “décolonial”, qui ne cessent de répéter que […] l’égalité et la liberté des femmes ne sont que les instruments du racisme, de l’islamophobie, de la frontière entre “eux” et “nous” »… Certes, l’auteure peut à bon droit reprocher à certain(e)s militant(e)s postcolonialistes de voir dans le féminisme un « produit importé, occidental » et, au-delà, une question « secondaire », comme jadis certains marxistes affirmaient que ce combat devrait attendre la victoire du prolétariat. Mais on regrettera qu’en pointant les limites d’un antiracisme taisant parfois le sexisme au sein des populations racisées elle en vienne à accepter la loi discriminatoire interdisant le voile à l’école. Même si Martine Storti admet qu’il puisse être porté sans contrainte, elle ne parvient pas à dépasser son appréhension personnelle de ce signe supposé religieux, quand c’est la question de la légitimité d’une telle législation qui est posée… Cependant, au-delà des désaccords, le livre a le mérite d’analyser les dérives « identitaristes » dans notre société. Et d’ouvrir au débat.