Retrouver le sens du commun
Edwy Plenel livre un ardent plaidoyer pour une démocratie réelle et le retour à des valeurs collectives.
dans l’hebdo N° 1396 Acheter ce numéro
Dire « je » est l’une des règles aujourd’hui incontournables de la communication politique. Il faut y voir un symptôme de la personnalisation du pouvoir et, en allant plus loin, le signe d’un profond malaise démocratique. Le « dire nous » d’Edwy Plenel est donc beaucoup plus qu’une formule généreuse. Ces deux mots constituent, pour le directeur de Mediapart, le point de départ d’une critique méthodique d’un système en panne de démocratie. Certes, le problème n’est pas nouveau, mais il est généralement relégué par toujours « plus urgent » dans le débat public. Et c’est une erreur, nous dit Plenel, parce que « la question démocratique détient la clé de toutes les autres attentes en jachère, qu’il s’agisse de la crise sociale, […] des souffrances urbaines, […] des défis écologiques ».
Le « dire nous » est donc ici un cri de ralliement contre la dépossession du et des pouvoirs. Un sursaut pour se sortir des mailles de cette « tyrannie douce » que dénonçait Tocqueville. C’est peut-être Pierre Mendès France qui eut la prescience la plus exacte des périls à venir lorsqu’il redoutait une « délégation [des] pouvoirs à une autorité extérieure », qui, « au nom de la technique », exerce en réalité « la puissance politique ». « Au nom d’une saine économie, poursuivait l’ancien président du Conseil, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale ». C’était en 1957, et c’était à propos de l’Europe… Déjà ! Sans doute est-ce parce que l’on a réduit « la politique à l’économisme […] et son ambition à la gestion », et aboli toute conflictualité sociale, que l’extrême droite peut se présenter comme une échappatoire. Sans oublier, comme le souligne Plenel, cet autre instrument de pouvoir qu’est la peur, avec son cortège d’états d’urgence et de mesures liberticides. L’extrême droite avant l’extrême droite, en somme.
Plenel ne manque pas d’exemples pour nourrir son réquisitoire contre un système présidentiel qui ressemble le plus souvent au fait du Prince. Il s’interroge sur les raisons qui font que la France est en panne d’alternatives quand l’Espagne, la Grèce, le Portugal et même New York ont leurs « indignés ». À ce manque de démocratie, il oppose notre « Commun ». Ce « commun » que Pierre Dardot et Christian Laval [^1] ont analysé et théorisé, et dont le député frondeur Pouria Amirshahi a fait un mouvement. Ce sont, dit Plenel, nos « causes communes », c’est-à-dire ce que « nous avons en commun et de commun dans nos vies quotidiennes ». Il y a là du concret : l’eau, l’énergie, les transports, l’habitat, le travail… qu’il nous faut revendiquer de gérer. Mais aussi la politique et l’avenir, pensés en tant que projet collectif. Une invitation à se réapproprier des pouvoirs qui ont été confisqués non par une dictature, mais par la sournoise évidence de la technique et de l’expertise.
[^1] Commun, essai sur la révolution du XXIe siècle, Pierre Dardot et Christian Laval (La Découverte, 2014).