SNCF : les dix scandales
Autrefois fleuron français, la compagnie nationale souffre désormais d’une très mauvaise réputation auprès des usagers. Entre les prix élevés, les retards et de graves manquements en matière de sécurité, et en attendant l’ouverture prochaine à la concurrence.
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Avalanche de mauvaises nouvelles pour les usagers du rail. En trois mois, la SNCF a annoncé la fermeture de 6 lignes, la suppression de 1 400 emplois et la mise en place d’une facturation de l’échange des billets. Elle a essuyé des révélations en cascade sur l’état inquiétant de ses 30 000 kilomètres de voies, a été poursuivie en justice par un département qui s’estime lésé par la desserte d’un TGV, et le président de la branche infrastructures a brusquement démissionné, face à l’insoluble équation que lui impose le gouvernement.
Le train a beau être le mode de transport le moins polluant, il traverse une crise majeure, conséquence de décennies de sous-investissement. La mise en concurrence et l’intensification du travail sont présentées comme des solutions miracles. Pourtant, la SNCF se comporte déjà comme une entreprise privée. Et cela n’est pas toujours conciliable avec sa mission de service public et le « droit au transport », inscrit dans la loi.
Des tarifs à s’arracher les cheveux
Un prix au kilomètre qui change du tout au tout ; des tarifs qui varient du simple au triple d’un passager à l’autre; des trains vides et néanmoins hors de prix : c’est peu dire que les tarifs de la SNCF sont incompréhensibles. En cause, un algorithme de gestion «fine», en anglais yield management, qui fixe les prix en temps réel en fonction de l’état du marché et des comportements du consommateur.
Cette technique mise en place à partir de 1993 sur les lignes avec réservation obligatoire permet à la SNCF de remplir ses trains tout en se rapprochant au maximum du prix qu’un voyageur est prêt à consentir. Selon une étude du CLCV, Association nationale de défense des consommateurs et usagers, en 2013, les trains au départ des villes de région sont un tiers plus chers que les trains au départ de Paris. Leur taux de remplissage, plus faible, inciterait la SNCF à pratiquer des prix plus élevés. On est donc loin de la notion de prix kilométrique, progressivement abandonnée à partir des années 1960, ou bien de la loi de « l’offre et la demande ». Le principe « d’égalité d’accès au service public » est en revanche sérieusement écorné.
Pour toute régulation, l’État se contente de fixer un prix maximum pour un millier de trajets en seconde classe. Ce sont ces tarifs que la SNCF facture en dernière minute pour les trains pleins à craquer. Depuis 2011, hors de ces plafonds légaux, elle jouit d’une « liberté tarifaire » totale, qui met fin notamment à l’encadrement des périodes creuses et des périodes de pointe.
Consciente du caractère sensible de la question, la SNCF communique avec parcimonie sur les évolutions de sa tarification. D’importants changements sont pourtant prévus en 2016. La SNCF espère améliorer ses taux de remplissage et renouer avec les taux de rentabilité d’avant la concurrence du covoiturage et de l’avion à bas coût. Les prix devraient désormais rester bas lorsque le taux de remplissage est faible, même en dernière minute. En revanche, l’échange des billets sera désormais facturé (5 euros, puis 15 euros deux jours avant le départ).
La SNCF a également dû démentir les rumeurs répétées concernant le site voyage-sncf.com sur la pratique de l’« IP tracking », le traçage du comportement des internautes qui permet à un site de commerce en ligne d’augmenter les tarifs à la seconde connexion, ce qui a pour conséquence de précipiter l’acte d’achat. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a crédité la version du service communication du site commercial en 2014 : la SNCF ne pratique pas et n’a jamais pratiqué cette technique particulièrement impopulaire. Mais les associations d’usagers, qui continuent de demander une meilleure visibilité sur les prix, disent ne pas avoir de certitude sur la réalité de cette information.
Le prix du désengagement de l’État
83 % des Français interrogés par le CLCV, en 2013, considèrent les tarifs de la SNCF comme trop élevés. Un paradoxe, compte tenu des objectifs affichés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces mauvais résultats s’expliquent par les tarifs pratiqués sur les lignes à grande vitesse. Rentables et non subventionnées, elles ont longtemps servi à financer des activités déficitaires, comme les trains Corail ou le fret.
L’État s’est aussi longtemps payé sur la bête en récupérant environ 30 % des bénéfices sous forme de dividendes, comme le ferait un actionnaire privé. Cette pratique est aujourd’hui révolue, car la rentabilité des lignes à grande vitesse s’est amoindrie du fait de la concurrence des avions à bas coût, du covoiturage et désormais des cars. Les trains du quotidien (TER, Intercité), eux, restent largement abordables grâce à des subventions couvrant les trois quarts du prix des billets.
Second constat : la tendance générale des tarifs est à la hausse à cause de l’augmentation constante des droits de passage que la branche en charge des infrastructures (SNCF réseau) fait payer à la branche en charge des trains (SNCF mobilité). Ces hausses atteignent un niveau tel en 2016 que le gendarme du secteur, l’Arafer, les a jugées illégales début mars.
Cela n’arrange pas les comptes de SNCF réseau, en grande difficulté pour gérer la dette de 42 milliards d’euros héritée d’une époque où l’État lui imposait la construction de lignes nouvelles sans lui accorder les subventions correspondantes. Et ce gouffre financier se creuse aujourd’hui avec l’explosion des coûts d’entretien (+ 17 % en 2016) liés au vieillissement des lignes à grande vitesse. Or, l’État ne suit pas suffisamment. « Il manque un milliard d’euros » pour faire face à la dépréciation du service, juge la Fnaut, association d’usagers des transports. À défaut, les billets continueront d’augmenter.
Classe contre Classe
En 1956, la SNCF supprime la troisième classe. Soixante ans plus tard, il semblerait qu’elle soit de retour en toute discrétion. Depuis 2013, le projet initialement nommé « Aspartam » a fait entrer la SNCF dans l’ère du low cost pour sucrer les coûts, les services, mais surtout l’égalité entre les usagers. Rebaptisé « Ouigo », l’offre vise à augmenter le nombre de voyageurs et faire baisser le prix des billets. Initiative louable, en théorie. Dans la réalité, les contraintes s’accumulent. Les prix, à partir de 10 euros, sont alléchants, mais les billets ne sont réservables que par Internet, non échangeables avec des billets classiques et les gares sont excentrées (Marne-la-Vallée, Lyon-Saint-Exupéry…).
Pour reconquérir des voyageurs, la SNCF a aussi lancé TGVpop : les rames ne partent que si elles sont remplies à hauteur de 33 %. L’usager-internaute indique son intention de voyage sur le site et croise les doigts pour qu’il ne soit pas le seul. Le verdict ne tombera que quatre jours avant la date de départ. Les trajets « loisirs » et les jeunes sont donc la cible, car il faut être flexible et connecté pour utiliser TGVpop. Nouveauté du printemps 2016 : Izy, le Thalys à bas coût sur la ligne Paris-Bruxelles. Des tarifs à la carte qui ne dépasseront pas 60 euros en classe standard. Si dans un Thalys normal la capitale belge n’est qu’à 1 h 30 de Paris, avec Izy, il faudra compter près d’une heure supplémentaire car il privilégie le réseau TER/Intercités. Mais n’espérez pas recharger votre téléphone ou emporter votre garde-robe dans ces trains. L’accès à une prise de courant ou l’embarquement d’un bagage supplémentaire sont taxés. Et ne cherchez pas la voiture-bar dans ces nouveaux trains. Elle n’existe plus. Un transport ferroviaire à deux vitesses… un comble pour des TGV.
Toujours un train de retard
Les trains français arrivent deux fois plus en retard que les allemands. Il n’en va pas que des billets « loisirs », dont les propriétaires croisent les doigts pour que le retard dépasse les 30 minutes (valant remboursement d’une partie du montant), quand le conducteur turbine pour passer sous la barre de la demi-heure. Il en va aussi des voyageurs qui tremblent de rater leur correspondance, leur car ou leur réunion ! Car ils sont encore nombreux à se rendre en train à leur travail. Pas de hasard si l’enquête de satisfaction menée par Que Choisir en 2015 sur les trains régionaux tombe à 38 % en Île-de-France. Dans la région, un demi-million de personnes souffriraient de retards quotidiens. Or, « si 40 % des voyageurs subissent souvent des retards, l’indemnisation est loin d’être la règle, précise l’Association de défense des consommateurs et usagers (CLCV). Des compensations insuffisantes et sous conditions existent pour les TGV, mais rien pour des transports aussi communs que les TER, métro et RER ».
Des cartes de réduction… très réduites !
L’offre est allèchante. Avec la carte « Enfant + », vous bénéficiez de 25 % à 50 % de réductions pour votre enfant (de moins de 12 ans) et jusqu’à quatre personnes qui l’accompagnent. La mamie, le père ou la mère de famille s’empressent donc d’acheter ladite carte – au prix de 75 euros – valable un an, tout heureux à la pensée d’emmener, pour pas trop cher, leur petit au grand air.
Mais au moment de réserver les billets, surtout s’ils n’ont pu se décider très en avance, leur déconvenue est amère : les places au prix réduit espéré ne sont proposées que dans des trains partant avant 6 h du matin ou tard le samedi soir. Sinon, plein tarif ! Explication : c’est tout ce qui reste du quota de places au tarif « Enfant + ».
Pour bénéficier des 50 % de réduction, la SNCF demande aux voyageurs d’« anticiper » leurs réservations ; pour les autres, « les 25 % [sont] garantis pour quatre accompagnateurs, sur tous les trains, jusqu’à la dernière place, quelles que soient vos dates de réservation ». Mais un discret astérisque renvoie à une lointaine mention en bas de page : « offres soumises à conditions et valables sous réserve de disponibilités »…
À l’exception de la carte « Familles nombreuses », émise en lien avec l’État et qui donne droit à réduction sans conditions, toutes les cartes de réduction fonctionnent sur le même modèle. À quand de vrais forfaits ou de réelles réductions, sans limites de places ?
Lignes à grande vitesse : la gabegie des partenariats public-privé
Après les stades vides et hors de prix et les universités ne pouvant pas accueillir de public, on découvre désormais que les partenariats public-privé (PPP) font aussi des ravages sur les lignes à grande vitesse. Une filiale de Vinci, Lisea, a été choisie en 2007 pour construire le TGV Tours-Bordeaux et financer la moitié des 7,8 milliards d’euros d’investissement, à parité avec des fonds publics. L’affaire a tourné l’automne dernier à la tragicomédie. Il y a d’abord la grogne de 48 collectivités locales, qui ont cofinancé le projet en rêvant d’être desservies par le train à grande vitesse, l’ouverture de la ligne étant prévue pour 2017. Problème : celle-ci ne pourra pas compter 48 gares. D’où le sentiment d’avoir été les vaches à lait du consortium.
Le voyageur pourrait aussi avoir cette désagréable impression. Car, pour se rembourser, Lisea fera payer l’accès aux rails à la SNCF pour une durée de cinquante ans, avec un tarif 2,5 fois plus cher que sur la section Paris-Lyon, et l’autorisation d’augmenter chaque année ces droits de passage jusqu’à 3,5 fois l’inflation [^1].
Mais ce n’est pas tout. Selon les calculs de Lisea, cette activité sera rentable à partir d’une vingtaine d’allers-retours Paris-Bordeaux par jour. Or, la SNCF estime ses besoins à seulement 13 allers-retours. Comme il est d’usage dans les PPP, l’entreprise renégocie le contrat lorsque ses bénéfices sont menacés. En novembre 2015, les banquiers du consortium ont donc suspendu le versement d’une des tranches de crédit jusqu’à gain de cause. Le gouvernement a tranché : il y aura 16,5 allers-retours par jour. Tant pis si ces trains sont vides et que la SNCF ne rentre pas dans ses frais. Lisea, de son côté, continue de demander une intensification du trafic.
À l’avenir, seul l’État financera ce type de projet, laisse entendre, échaudé, le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies. Pas question en revanche de freiner la course à l’ultravitesse, malgré son coût énergétique et des finances dans le rouge vif pour la branche infrastructure de la SNCF. Prochain projet : mettre Toulouse à 3 h 15 de Paris d’ici à 2030. Mais à quel prix ?
Et le train disparaît… dans la nuit
De Hatfield à Brétigny… En 2001, quand sort le film de Ken Loach, The Navigators, sur les conséquences de la privatisation du rail en Angleterre quelques mois après l’accident de Hatfield, le 17 octobre 2000, la France se rassure avec la qualité de sa compagnie nationale. Quinze ans plus tard, la carte SNCF qui part en étoile depuis la capitale se réduit comme peau de chagrin.
Pour payer le coût de sa grande vitesse (Paris-Strasbourg, Paris-Barcelone), qui commence à lui valoir des refus de paiement (par le conseil départemental du Haut-Rhin notamment), l’entreprise supprime ses Intercités les moins fréquentés, surtout la nuit. Elle s’appuie sur un rapport de Philippe Duron, publié le 26 mai 2015. Le député PS du Calvados estime que « le modèle économique des trains de nuit n’est plus viable » et souligne l’intérêt du car, loi Macron en arrière-plan. Sont menacées de suppression ou de réduction des lignes telles que Hirson-Metz, Nantes-Quimper, Bordeaux-Toulouse au profit d’autres « à fort potentiel » : Paris-Caen ou Paris-Toulouse.
Le 21 février, le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, a annoncé la fin de la circulation de six trains de nuit sur les huit en exploitation : ils représenteraient 3 % des passagers, mais 25 % du déficit. Les deux survivants sont le Paris-Briançon et le Paris-Rodez-Latour-de-Carol. Les six autres lignes sont proposées à des entreprises privées qui ont jusqu’au 1er juillet pour se prononcer. Sinon, exit le Paris-Irún, Paris-Saint-Gervais-les-Bains, Strasbourg-Port-Bou et Nice-Irún, qu’on appelait la Vallée blanche, la Palombe bleue, le Train bleu…
Le car, une « concurrence déloyale »
L’heure est au développement tous azimuts de l’autocar. Les compagnies privées s’arrachent des parts de marché depuis la libéralisation du secteur en 2015 et la SNCF les privilégie en remplacement de ses lignes secondaires. Outre les arguments parfois fantaisistes que les défenseurs de la route ont mobilisés pour vanter ses avantages, il s’avère surtout que ce mode de transport est le plus rentable.
Le rail souffre même d’une « concurrence déloyale », jugent les associations de consommateurs : pour faire passer un train, la SNCF loue le rail sous forme de péage, alors qu’un car ne paye pas – ou peu – les routes, largement entretenues sur les deniers publics. La SNCF doit aussi s’acquitter d’une taxe destinée à financer les lignes les moins bénéficiaires, et qui ne concerne pas les compagnies de cars privées. Et cette taxe augmente en 2016 de 29 % pour faire face aux besoins.
L’avion aussi bénéficie d’un régime de faveur. Il est exempté de taxe sur le kérosène, ce qui représente une économie de 40 euros par billet pour un voyage intérieur, soit 1,2 milliard d’euros par an, selon une estimation du Réseau action climat.
Des gares désertes ou fermées
Fini le chef de gare qui a le temps d’avaler un œuf coque entre deux trains dans cette vieille publicité pour la SNCF… Il n’y a parfois plus de chef dans les gares. Voire plus de personnel du tout. Les automates ont largement remplacé les guichets. Et des boutiques SNCF ferment leurs portes sous prétexte de vente en ligne. On peut encore acheter un billet, entre des distributeurs de confiseries et de café, sur une borne bien peu « intelligente », surtout en cas de problème. Quand la gare n’est pas complètement fermée.
Il y aurait 1 920 gares non exploitées sur 6 442, selon la plateforme de données publiques data.gouv. « Stop à la fermeture des gares et des guichets de vente. Stop à la réduction des horaires de nos gares », proteste depuis le 22 janvier une pétition des syndicats CGT, CFDT, SUD Rail, et Unsa de la Côte d’Azur. Dans cette région « qui n’est pas un désert », treize gares sont menacées de fermeture ou perdent des agents et des vendeurs. La SNCF prévoit 1 400 suppressions de postes en 2016, et 10 000 d’ici à 2020.
[^1] Les Échos, 3 novembre 2015.