SNCF : Une certaine idée du service public
La question de l’ouverture à la concurrence divise les associations de consommateurs. En jeu, l’avenir du transport de voyageurs.
dans l’hebdo N° 1396 Acheter ce numéro
D’une association de consommateurs à l’autre, le constat est unanime sur l’état de délabrement du secteur ferroviaire français, mais les analyses divergent sur les solutions à apporter. Entretien croisé avec Mathieu Escot, responsable des études à l’UFC-Que Choisir ? – qui a lancé en mai 2015 une pétition « Payons en fonction de la qualité » – et Guy Beauné, secrétaire national d’Indecosa, l’association de consommateurs de la CGT.
Quel constat dressez-vous sur l’état du réseau ?
Mathieu Escot Selon une enquête de satisfaction que nous avons menée en 2015, seuls 59 % des personnes interrogées se sont déclarées satisfaites par la SNCF, soit 5 % de moins qu’en 2012. Ce sont des chiffres très bas : les Français, « qui n’aiment pas leurs banques », s’en déclarent pourtant contents à 69 %, et pour leurs mutuelles à 90 %. Quant aux TGV : 69 % de satisfaits (9 % de moins qu’en 2012). En Île-de-France, ce taux de satisfaction chute à 39 %. Autres données : entre 2002 et 2012, les coûts d’exploitation sur les TER ont grimpé de près de 90 % ! Et le coût au kilomètre a crû de 41 %. Le train régional est aussi deux fois plus en retard chez nous qu’en Allemagne et 50 % plus cher.
Guy Beauné Le transport public collectif n’est plus garanti en matière de qualité de service, d’équité et de sécurité. Le cas récent des lignes supprimées par la SNCF parce qu’elle n’avait pas été capable de prévoir un nombre suffisant de conducteurs nous paraît particulièrement significatif. Le développement du transport par autocars nous semble également inacceptable du point de vue de la sécurité comme de la protection de l’environnement. Concernant les tarifs, les TER restent abordables, car ils sont financés en partie par les régions. Les grandes lignes, en revanche, sont moins accessibles.
Comment expliquer cette situation ?
Mathieu Escot La SNCF profite de son monopole : l’entreprise publique perçoit 4,7 milliards d’euros de subventions pour ses TER + RER transiliens. Ils sont sous perfusion. Elle ne souffre aucune concurrence et elle est trop peu rémunérée à la qualité. Quand une région passe commande pour une ligne, la SNCF lui présente une facture qu’elle signe les yeux fermés puisqu’elle n’a pas d’alternative. En Allemagne, pour une ligne, un appel d’offres met en concurrence plusieurs transporteurs, dont l’opérateur historique, mais le service est ensuite exploité par une seule compagnie. La Deutsche Bahn a conservé la part de marché la plus importante, mais elle a été contrainte de se réorganiser : les salaires n’ont pas baissé et elle est plus efficace.
Guy Beauné L’État a cessé de jouer son rôle. Il a laissé la SNCF s’endetter très fortement en n’assurant pas le financement des lignes nouvelles. Aujourd’hui, il cède à la facilité en accompagnant le développement des cars, qui ne payent qu’à la marge les infrastructures routières, tandis que la SNCF doit entretenir ses rails. Nous allons à l’inverse de ce que nous imposent les enjeux écologiques actuels.
Faut-il faire son deuil du service public ?
Mathieu Escot Selon nous, un service public, c’est un train qui emmène des voyageurs d’un point A à un point B à l’horaire indiqué pour des coûts contenus et accessibles au plus grand nombre. Pour les six trains de nuit dont l’existence est menacée, c’est soit le passage au privé, soit la disparition… Pour les lignes TER – et non TGV, car cela reviendrait à une libéralisation –, l’ouverture à la concurrence contraindrait la SNCF à améliorer sa gestion et ses services. La définition de l’offre resterait l’affaire des régions et le financement se ferait toujours majoritairement par l’impôt, mais l’appel d’offres permettrait des monopoles temporaires courts. Aujourd’hui, la SNCF perçoit les mêmes subventions, quelle que soit la ponctualité des trains. Si des régions cessent leurs financements, d’autres lignes vont fermer.
Guy Beauné Non. La SNCF doit rester un service public accessible à tous, sans rupture sur l’ensemble du territoire. L’ouverture à la concurrence n’est pas une bonne solution, car les opérateurs privés ne prendront que les lignes bénéficiaires et la péréquation ne sera plus possible avec les lignes moins rentables. Il est ainsi prévisible qu’aucune entreprise ne se porte candidate pour exploiter les trains de nuit que la SNCF va abandonner. L’État doit être capable d’imposer une amélioration du service en passant des contrats décennaux avec la SNCF. Enfin, déléguer au privé des lignes de train ne fera pas forcément baisser les tarifs, car les entreprises en délégation de service public auront affaire à une clientèle captive.