« The Assassin », de Hou Hsiao-Hsien : Le goût de la beauté

Avec The Assassin, le Taïwanais Hou Hsiao-Hsien hausse le film d’arts martiaux, un genre qu’il n’avait jamais exploré, au rang de grande œuvre classique.

Christophe Kantcheff  • 9 mars 2016
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« The Assassin », de Hou Hsiao-Hsien : Le goût de la beauté
© **The Assassin**, Hou Hsiao-Hsien, 1 h 45. Rétrospective Hou Hsiao-Hsien à la Cinémathèque, Paris XIIe, jusqu’au 31 mars. cinematheque.fr Photo : SpotFilms

À Cannes, où il a reçu le prix de la mise en scène, The Assassin, le nouveau film d’Hou Hsiao-Hsien, qui n’avait pas tourné depuis huit ans, a époustouflé. Et pas seulement parce que le cinéaste taïwanais s’est adonné à un genre auquel, en plus de trente ans de filmographie, il n’avait jamais touché. Pour son retour sur les écrans, Hou Hsiao-Hsien signe un film d’arts martiaux, qu’il élève au rang des beaux-arts.

S’il reconnaît avoir été influencé par les films de samouraïs d’Akira Kurosawa, l’auteur des Fleurs de Shanghai a conçu ici une œuvre plus proche du poème que de la symphonie épique. Un poème ciselé, aux accents retenus, qui aurait la précision et la délicatesse de la peinture chinoise classique.

Une expression peut résumer The Assassin : le spectacle de la beauté. La notion de beauté est à préciser. Le film en impose par un sentiment aigu d’harmonie des formes, des mouvements et des couleurs. Tout ici a une puissance plastique inouïe, que ce soit la silhouette féline de la divine Shu Qi ou les paysages de Mongolie intérieure et de la province de Hubei. Ceux-ci semblent être restés intacts depuis le IXe siècle, période où se déroule l’action, sous le règne de la dynastie des empereurs Tang. Leur présence est si forte qu’on pourrait croire que les personnages sont les premiers humains à y pénétrer depuis longtemps. Le cinéaste montre avec la même grâce un prodige cruel et foudroyant – une femme se consumant après avoir subi un sort – ou l’insouciance d’enfants jouant dans des intérieurs raffinés, filmés à travers des voiles agités par la brise.

Au centre de l’intrigue : un projet de meurtre. Que l’exécutrice en soit une femme n’est pas la moindre des singularités. Nie Yinniang (Shu Qi) a été formée pour tuer. Elle est sous les ordres d’une nonne qui l’a recueillie, loin des siens, après la mort de sa mère. Sa mission, délivrée lors d’un préambule en noir et blanc, qui suggère l’ascétisme et l’esprit d’obéissance, consiste à assassiner son cousin, Tian Ji’an (Chang Chen). Celui-ci est gouverneur d’une province dont les désirs d’autonomie sont intolérables aux yeux de l’empire central (transposition vraisemblable des rapports entre Taïwan et la Chine).

Nie Yinniang revient ainsi dans sa famille. La nièce prodigue est un ange exterminateur. Seulement, des sentiments ont naguère existé entre Nie Yinniang et Tian Ji’an, qui rendent la situation plus -complexe. The Assassin n’est certes pas un film à développements psycho-logiques, mais le dilemme qui saisit Nie Yinniang dans sa mission apparaît jusque dans les combats auxquels elle se livre. Tous filmés comme des chorégraphies introverties, Shu Qi semblant alors défier les lois de l’apesanteur et fascinant aussi bien ses adversaires que le spectateur.

D’où cette constatation : The Assassin n’est pas qu’un objet d’une esthétique sophistiquée, encore moins d’un esthétisme vain. La fidélité au passé, la parole donnée et la valeur de la vie humaine sont au cœur de cette œuvre qui rapproche le sabre du glaive et le film d’arts martiaux de la tragédie antique. Certains westerns de l’âge d’or atteignaient cette dimension. Où l’on découvre que Hou Hsiao-Hsien est un cinéaste fordien : un grand auteur classique.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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