Un César pour toutes les Fatima
Face aux cadors plus ou moins faisandés de la sélection officielle – Dheepan, La Loi du marché, Mon Roi, La Tête haute – et à Marguerite et son million d’entrées, Fatima, de Philippe Faucon, a été sacré « meilleur film ».
dans l’hebdo N° 1393 Acheter ce numéro
Les Césars sont ce qu’ils sont : une cérémonie laborieuse (même quand elle dure moins longtemps, comme cette année), agrémentée de sketches écrits sans génie, instituant une compétition absurde entre des techniciens, des artistes et des œuvres. Mais ils existent et offrent une image du bilan que les « professionnels de la profession » tirent de l’année cinématographique écoulée. Si les prix décernés sont souvent conformistes, alignés sur le palmarès cannois et/ou sur le box-office, les bonnes surprises ne sont pas toutes évitées. Ainsi, face aux cadors plus ou moins faisandés de la sélection officielle – Dheepan, La Loi du marché, Mon Roi, La Tête haute – et à Marguerite et son million d’entrées, Fatima, de Philippe Faucon, a été sacré « meilleur film ».
Le symbole n’est pas mince. Fatima aurait pu ne jamais voir le jour. Philippe Faucon a dû faire preuve d’une déraisonnable opiniâtreté pour mener à terme son projet. La qualité du cinéaste et de ses précédents films n’y changeait rien : les financeurs intéressés ne se bousculaient pas. L’histoire d’une femme de ménage algérienne, interprétée par une inconnue effectuant dans le civil ce même métier, partagée entre son travail et sa vie de famille, avec ses deux filles qui tentent de s’en sortir, comment voulez-vous que ça intéresse le public ? Quelque 300 000 spectateurs s’y sont intéressés. C’est beaucoup moins qu’un score de cador, mais tout de même !
Peut-être les gens ont-ils vu que le regard porté par Philippe Faucon sur ses personnages, habituellement renvoyés à une identité unique et dévalorisée, leur octroie leur être entier, avec leur humanité, leur intelligence, sans jamais céder sur la complexité des situations ? Peut-être ont-ils été touchés par la douceur et le courage de Fatima et par le talent des trois interprètes, Soria Zeroual, Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin) et Kenza Noah Aïche ? Peut-être les mots de Fatima Elayoubi, qui résonnent dans le film et en ont constitué la trame (César de la meilleure adaptation), ont-ils élargi leur sensibilité ? En couronnant un très beau film, les votants peuvent se féliciter de ne pas avoir raté l’occasion de saluer toutes les Fatima du monde. Quand l’air du temps est putride, on ne rechigne pas devant un peu d’oxygène.
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