Yanowski : Cabaret de curiosités

En parallèle du Cirque des mirages, le chanteur et poète Yanowski fait tourner son spectacle musical expressionniste La Passe interdite avec des solistes vibrants.

Ingrid Merckx  • 2 mars 2016 abonné·es
Yanowski : Cabaret de curiosités
© **La Passe interdite** Yanowski, Arties records. **Tournée :** le 17 mars à Villefontaine (38), le 4 avril au Café de la Danse (Paris XIe), le 13 mai à Sedan (08). Photo : Stephane Laniray

Le grand Jacques a beaucoup d’héritiers… Jusqu’à Stromae, dit-on. Mais probablement ne renierait-il pas Yanowski. Surnommé « le Brel russe », le chanteur a de toute évidence façonné sa diction dans le braquet du maître : cette même façon de marquer les « r », d’appuyer les syllabes montantes, et même cet humour qui grince au cœur de la mélancolie sourde d’une « Petrouckha », petite sœur coquine des « Remparts de -Varsovie » : « Tu t’es invitée chez moi / Drapée comme une diva / La zibeline en émoi / Et la poitrine aux abois ».

Il y a la manière, mais il y a surtout le texte. Les chansons de Yanowski sont des contes, pour adultes parfois : « Tandis que tes deux seins / Semblables aux capucins qui vont au ralenti / Dodelinent, ballottent / M’émeuvent la calotte et tombent repentis… » (« Chevauchée »). Riches et délicats, hauts en personnages, en climats dépaysants, en décors ivres. Des fables atemporelles, troussées comme des aventurières d’une plume alerte et fine, crue et vengeresse, railleuse et lyrique, polissonne et romanesque : « Nous étions jeunes et nus / Sous notre manteau de retenue / Et le cœur à moitié décousu / Nous allions par des routes de sable. »

Un récitatif aux accents d’Édouard Baer (« C’est la rue »), un « Redonne-moi un verre » qui sonne comme un « Au suivant », la mimétique brélienne exultant dans « C’est fragile la vie d’un homme », sur la douloureuse quarantaine, un « El Senor Samuel » qui réveille le « Léo » des VRP, un « Je suis soûl » qui démarre comme un plagiat de Nougaro… Yanowski ouvre une chambre d’échos qui étourdissent de souvenirs et de réminiscences. Des traces de chansons, d’histoires et de mélodies mêlées remontent en bouquets. Des tableaux inspirés d’Edgar Poe, de Borges ou de -Dostoïevski, le burlesque et l’érotisme en bonus.

Mais ce sont presque des leurres, comme des tours de passe-passe pour introduire dans les -profondeurs de son petit cabaret de curiosités. Non sans surprise, car Yanowski, fils de saltimbanques, qui a étudié le piano, le chant et la philosophie, écrivain de nouvelles fantastiques, poète [^1] et boxeur, a forgé son art de la scène en cultivant un duo de cabaret expressionniste avec le pianiste, compositeur et chanteur Fred Parker. En parallèle de leur Cirque des mirages, né en 2000, La Passe interdite est un disque spectacle monté salle Gaveau en janvier 2014.

Un chanteur conteur grimé en clown baroque, sorte de géant baryton en costume sombre, chapeau et maquillage hésitant entre Chat noir, Tim Burton et Méphisto, enchaîne les numéros en rebondissant dans les bras de cordes vibrantes, solistes de renom qui l’habillent, lui donnent la réplique, lui tiennent la dragée haute parfois : Samuel Parent au piano (Trio con Fuoco, Quatuor Artemis, Quatuor Ebène), Antoine Rozembaum à la contrebasse (Blik), Hugues Borsarello (Quatuor Leonis) au violon en alternance avec Anne Le Pape sur scène (Les Fleurs noires, collaboratrice de Florin Niculescu, Thomas de Pourquery ou Médéric Collignon).

« Il y avait au cœur de Yerevan / Dans une taverne tzigane / Un violoniste fabuleux, un vieux gitan / Qui jouait une musique effroyable / Un air à faire prier le diable. » Des amoureux, des hommes seuls qui boivent et reboivent encore, un violon mutin, une poupée mécanique, des rues noires, des estaminets crasseux, une redingote et de la vodka, du manouche, du tango, des czardas, des balalaïkas, une virée à Buenos Aires… La Passe interdite a été coarrangé par Gustavo Beytelmann, pianiste et compositeur argentin mariant musique classique, jazz et tango (Piazzolla et Gotan Project).

Yanowski et ses virtuoses émoustillent, bercent dans leur boîte à musique, entêtent de leurs mélodies, grisent de leurs envolées, entraînent dans leurs gigues jusqu’à paraître, sans costume ni postiche, dans « L’Auberge des adieux », forts de leur verve et de leur fougue, un peu musiciens, un peu magiciens.

[^1] Crimes d’ortie blanche, Le Dilettante ; Zorbalov, avec l’Orchestre national de France ; « Élégie de l’amour obscur », mis en musique par Guillaume Connesson.

Musique
Temps de lecture : 3 minutes