Cannabis : « Pour prévenir, la peur ne suffit pas »

Sur l’usage du cannabis, Jean-Pierre Couteron propose une autre approche que la prohibition.

Olivier Doubre  • 20 avril 2016 abonné·es
Cannabis : « Pour prévenir, la peur ne suffit pas »
© JACK GUEZ / AFP

La régulation de l’usage de drogues est une question de santé publique. Se droguer, c’est faire usage d’une substance ou se livrer à un comportement – comme avec les jeux d’argent et de hasard ou les abus d’écran – ayant des effets, pour soi ou les autres, qui nécessitent un changement. Cette approche dévoile l’inadaptation d’une réponse fondée sur la prohibition, dans une société où l’objet est roi, son accès permanent et sans limites, et où la sensation doit être instantanée et extrême, au nom d’un marché que rien ne doit brider. La prise en compte de l’environnement et des modes de vie autant que des vulnérabilités et des motivations est le socle d’une politique de santé efficace, associant mieux parcours de vie, réduction des risques et soins.

Comment cela se concrétise-t-il pour l’usage de cannabis ? Sans prétendre à l’exhaustivité, il faut d’abord en présenter les effets. Ceux ressentis au moment de l’usage, plus ou moins forts selon la personne et le dosage en principe actif : ivresse, euphorie et somnolence ; modification des perceptions sensorielles, auditives et visuelles, d’où les risques liés aux activités telles que conduire ou utiliser un outil, par exemple ; relation aux autres perturbée par l’altération du jugement, avec tendance interprétative donnant « l’effet parano ». Ceux à moyen et long termes, liés à la dose, à la fréquence, à la durée d’exposition et à l’âge : effets sur le système respiratoire, les bronches, les poumons, et le lien établi avec le cancer. Mais aussi l’ancien syndrome amotivationnel, aujourd’hui détaillé par les neurosciences en « troubles de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives ».

Enfin, les possibles complications psychiatriques : troubles anxieux et attaques de panique ou « bad trip » ; troubles dépressifs induits et bouffées délirantes, parfois appelées pharmaco-psychose cannabique. Le sujet le plus évoqué demeure aujourd’hui le lien cannabis/schizophrénie : d’une part, les schizophrènes font un fort usage de cannabis, d’où une moindre compliance aux traitements et un risque de suicide augmenté ; d’autre part, un usage précoce et régulier accentue les risques de révéler la maladie chez les personnes neurobiologiquement vulnérables. Ces problèmes sont accentués entre 15 et 25 ans, étape de maturation qui rend le cerveau sensible à l’impact d’un usage trop intense et régulier.

Qu’a produit la pénalisation de l’usage instaurée par la loi de 1970 ? Une prévention accrochée à l’idée que seule la peur serait efficace, utilisant les risques comme des menaces, quitte à y ajouter celle des sanctions et à interdire toute autre parole, suspectée de « présentation sous un jour favorable ». Son échec est aujourd’hui massif [^1]. S’il est évident qu’il faut informer, objectivement et rapidement, en rester là est une erreur : la prévention, c’est aussi et surtout aider enfants et familles à développer leurs compétences psychosociales, leur capacité à choisir et à construire leur plaisir ou à gérer le stress sans recourir systématiquement à un usage. Des programmes – évalués et efficaces – commencent à être déployés, et les récentes campagnes dans les médias sur les Consultations jeunes consommateurs ont montré qu’il est possible de s’adresser aux familles et aux enfants en proposant des moyens pour agir.

Sur le plan de l’aide et des soins, on trouve le même impact négatif avec l’idée qu’il faut « avoir touché le fond pour s’en sortir » et renaître à la vie par l’abstinence, conformément à la loi qui fait de chaque usager un malade ou un délinquant, imposant le même trajet de soins à tous.

Pour mettre en œuvre un accompagnement efficace, qui puisse agir du plus simple au plus complexe des usages, une nouvelle législation devrait réguler la production et la vente en fonction de l’âge des usagers et des lieux de consommation. Elle continuerait de sanctionner les usages dangereux pour les autres (conduite…) et circonscrirait surtout le produit, sa qualité en particulier, dans un circuit de consommation contrôlée.

Sortir de la prohibition n’est donc pas synonyme d’un abandon contradictoire avec la santé, c’est faire converger des lois soucieuses du bien commun et une réponse de santé publique qui ne se limite pas à « soigner le malade », pour rester au plus près des personnes, dans cette zone qui fait de chacun de nous ni un malade ni un délinquant.

[^1] Comme le montrent les dernières études de l’Office français sur les drogues et les toxicomanies, où il apparaît que la France connaît un nombre d’usagers de cannabis parmi les plus élevés d’Europe.

Société Santé
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