« Élargir le régime des intermittents »
La feuille de cadrage rendue par le Medef sur la nouvelle convention d’assurance chômage menace le régime de l’intermittence, explique Samuel Churin.
dans l’hebdo N° 1399 Acheter ce numéro
Vingt-deux assemblées générales dans les théâtres nationaux. Des milliers d’intermittents mobilisés dans plusieurs villes le 4 avril. « On n’est pas seuls », clamaient les 1 500 personnes réunies au théâtre de la Colline, à Paris, à l’occasion de cet appel national au rassemblement. Le mouvement des intermittents repart de plus belle.
Ce qui a mis le feu aux poudres ? Une feuille de cadrage du Medef datée du 24 mars et déjà signée par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Ce texte réclame 185 millions d’euros d’économies par an aux annexes 8 et 10, qui régissent l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Et 400 millions d’ici à 2020. Soit presque un tiers des allocations versées.
La nouvelle convention d’assurance chômage, qui prendra effet le 1er juillet, pourrait sonner la fin de l’intermittence. D’où l’appel à la résistance lancé par Samuel Churin, comédien et membre de la Coordination des intermittents et précaires (CIP), le 25 mars, sur les réseaux sociaux. Les intermittents, que le Premier ministre avait tenté de calmer pendant l’été 2014, sont de nouveau dans la rue, où ils rejoignent les cortèges contre la loi sur le travail.
Le 7 avril, Manuel Valls a annoncé que l’État serait prêt à donner un « coup de pouce provisoire » aux intermittents. Cautère sur une jambe de bois ? Les assemblées générales se poursuivent ainsi que des commissions pour consolider un nouveau modèle d’assurance chômage.
Pourquoi écrivez-vous que la feuille de cadrage du Medef est la pire atteinte portée aux intermittents en treize ans ?
C’est la première fois que le Medef exprime aussi clairement et par écrit sa volonté d’en finir avec l’intermittence. D’ailleurs, alors que la question des intermittents arrive d’ordinaire en toute fin de négociation, le Medef a déjà consacré trois réunions à ces quelque 100 000 indemnisés. C’est dire si l’enjeu est de taille !
Dans sa feuille de cadrage, le syndicat des patrons voudrait voir les intermittents s’aligner sur le régime général, ce qui signerait la fin de ce régime spécifique. « Spécifique » ne signifie pas « privilégié », mais adapté à des pratiques d’emploi discontinues. Pour rappel, les intermittents représentent 4 % des chômeurs indemnisés et 4 % des dépenses. Autrement dit, un intermittent ne coûte pas plus cher que n’importe quel autre chômeur. La réforme n’est pas économique mais purement idéologique.
Par ailleurs, le gouvernement a anticipé les souhaits du Medef en réclamant 800 millions d’euros d’économies sur l’assurance chômage. Alors que 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés, c’est un massacre.
Ce qui se passe en ce moment dépasse tous les rêves des néo-libéraux : d’un côté, la loi El Khomri fragilise comme jamais les CDI ; de l’autre, l’assurance chômage vise à détruire les droits attachés aux CDD et à toute l’activité réduite. Autrement dit, on réclame plus de flexibilité sans sécurité.
Manuel Valls avait pourtant annoncé qu’il sauverait l’intermittence. Et la loi Rebsamen de 2015 sanctuarise les annexes 8 et 10…
Manuel Valls a menti. Tout ceci est un leurre. Un effet de communication qui a bien fonctionné puisque le Premier ministre a calmé les grosses mobilisations du printemps et de l’été 2014.
En fait, la loi Rebsamen sanctuarise le titre « annexes 8 et 10 », pas le contenu ! Si bien que le Medef reste parfaitement en mesure, sous couvert de garder ces deux annexes, de changer les règles du jeu. C’est bien ce qu’il est en train de faire, opérant aujourd’hui avec les intermittents comme il l’a déjà fait en 2014 avec l’annexe 4 -régissant le régime des intérimaires. Cette annexe existe toujours, mais vidée de son contenu.
Pourquoi le Medef veut-il mettre fin à l’intermittence ?
Faire passer les intermittents au régime général n’entraînerait pas véritablement d’économies pour l’Unedic. Ce qui le motive, c’est la volonté de détruire le dernier régime spécifique lié aux activités réduites. La flexibilité et la précarité augmentent. C’est pourquoi la CIP aimerait voir le mode de fonctionnement de l’intermittence du spectacle s’étendre à toutes les activités réduites, autrement dit à toute l’intermittence de l’emploi. Il n’y a jamais eu autant d’intellectuels – Bernard Stiegler, Daniel Cohen… – sur cette ligne. Pour le Medef, l’intermittence est un laboratoire d’autant plus dangereux que son spectre doit s’élargir.
Un bras de fer peut-il s’engager entre le Premier ministre et le Medef ?
Le problème, c’est que le Medef pourra toujours avancer que la demande d’économies émane du gouvernement. Et le Premier ministre arguer qu’il laisse les partenaires sociaux négocier. Les politiques se cachent derrière le « dialogue social ». En réalité, il n’y a ni dialogue ni social. Le Medef a de fait un droit de veto sur ces accords. Aucune décision sur l’assurance chômage ne peut être prise sans sa signature. C’est pourquoi toutes ces négociations se passent toujours dans ses locaux.
On ne peut plus parler de dialogue social quand le paritarisme repose sur un système mafieux. Il faut le réformer d’urgence : on laisse au Medef un pouvoir exorbitant quel que soit le gouvernement. C’est un État dans l’État. Le Conseil national de la Résistance avait imaginé que les caisses sociales devaient être gérées par des représentants de salariés élus. Dont acte : sortons les employeurs du dialogue social.
Quelle solution en attendant ?
Une négociation inédite se passe entre les syndicats du secteur : représentants des employeurs et salariés du spectacle vivant et enregistré. Ils doivent mettre la feuille de cadrage du Medef à la poubelle et écrire un accord répondant aux besoins des intermittents et prenant en compte leurs propositions.