La CGT à la croisée des chemins ?

À la veille de son 51e congrès, à Marseille, la confédération se trouve confrontée à des questions et à des pratiques nouvelles, en plein mouvement social contre la loi El Khomri.

Olivier Doubre  • 13 avril 2016 abonné·es
La CGT à la croisée des chemins ?
© ELYXANDRO CEGARRA/NurPhoto/AFP

La CGT a fêté ses 120 ans d’existence l’automne dernier. Doyenne des centrales syndicales françaises, occupant encore aujourd’hui la première place aux élections professionnelles, forte de plus de 700 000 adhérents (selon différentes sources), la « vieille dame » connaît inévitablement le poids d’un passé à la fois glorieux à la pointe des luttes et moins glorieux d’un dogmatisme ancien, longtemps mâtiné de productivisme. Les temps ont changé, mais la CGT, en 2016, est toujours en première ligne dans le mouvement social contre le projet de loi travail. Et hésite souvent quant à son positionnement, entre volonté de continuer à résister vigoureusement au démantèlement du code du travail et des droits des salariés en général et celle de s’inscrire comme force de propositions. Mais est-ce si contradictoire ?

Après la démission, début 2015, de Thierry Lepaon, due aux révélations sur les coûteuses rénovations de ses bureau et appartement de fonction, l’élection de Philippe Martinez au poste de secrétaire général a fortement rassuré en interne. Militant de longue date, issu du cœur symbolique de la classe ouvrière hexagonale car « métallo » de Renault-Billancourt depuis 1982 (même s’il y fut technicien et non ouvrier), il promeut, dès son arrivée, un discours recentré sur les thèmes traditionnels chers à l’organisation et à sa base, mais manifeste aussi une volonté de renouvellement. Ainsi, il met en avant la revendication de la réduction du temps de travail (à 32 heures hebdomadaires, sans baisse des salaires). Si elle a toujours figuré parmi les propositions de la CGT, celle-ci ne comptait que rarement parmi ses priorités. Ce n’est donc pas sans surprise que les adhérents ont reçu – à la veille du congrès de Marseille, qui débute le 18 avril – le mensuel interne La CGT ensemble ! avec le premier numéro d’un supplément intitulé « Objectif 32 h ! ». Une campagne qui y est présentée comme « une bataille historique, mais aussi d’actualité »

Cette stratégie mêlant thèmes fondamentaux et revendications plus neuves traduit bien les questionnements actuels d’un syndicat qui doit faire face aux évolutions du monde du travail. « Le discours sur les 32 heures a étonné, alors que nous placions traditionnellement en tête de nos revendications l’emploi, les salaires et les retraites », souligne Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ-CGT), dans son deuxième mandat. « La CGT paie le prix de son histoire, poursuit-il. Sans rien renier de celle-ci, il est parfois compliqué de se défaire d’un discours ouvriériste ancien tout en refusant les reniements actuels de la social-démocratie. Il nous faut pourtant faire évoluer nos positions en lien avec certaines caractéristiques nouvelles du salariat, qui, inutile de se le cacher, jouent aujourd’hui en notre défaveur. Dans les secteurs où nous sommes forts, comme la SNCF, La Poste ou EDF, par exemple, le nombre de cadres a, d’un côté, fortement augmenté au cours des dix dernières années quand, de l’autre, les postes les plus bas dans la hiérarchie subissent une forte précarisation, le tout dans un contexte de dérégulation générale. La synthèse est donc délicate à faire pour nos militants. »

À ces difficultés, s’ajoute aussi la division du mouvement syndical, fortement encouragée par le patronat et l’exécutif, notamment les gouvernements Ayrault et Valls, qui ne se privent pas d’instrumentaliser les différences entre les organisations dites « réformistes » et les autres, supposées « contestataires ». Matignon et le ministère du Travail ont ainsi beau jeu de décrier la posture défensive de la CGT (et de ses alliés les plus fréquents dans de nombreuses luttes, comme FO, SUD ou la FSU) comme « archaïque et hostile à la réforme ».

Pourtant, s’insurge Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT-CGT), « si ce qu’ils proposent se limite à une régression des droits des salariés, ce n’est pas une réforme, c’est une contre-réforme ! Et il est trop facile de dire que nous sommes simplement “contre”, alors que nous portons quantité de propositions. Mais, face aux attaques récurrentes contre le droit du travail, seul notre refus est mis en avant ! » Comme dans le mouvement contre le projet de loi El Khomri, jugé « ni négociable ni amendable », mais auquel la confédération oppose un projet, en cours d’écriture, de « code du travail du XXIe siècle ».

L’image ancienne d’une CGT « pure et dure » a aussi du mal à bouger en raison du fonctionnement même du syndicalisme, bien différent de celui des partis politiques. « Il y a un savoir-faire démocratique propre au syndicalisme, insiste Sophie Binet. Contrairement aux caricatures, à la CGT, les choses ne se sont jamais imposées par le haut. Aujourd’hui, nous sommes l’une des organisations syndicales les plus décentralisées. Et, à la différence des partis politiques, on ne peut pas se contenter de majorités du type 55 % contre 45 %. Cela nécessite la mise en œuvre d’une méthode et d’une culture des débats, parfois longs et âpres, mais qui in fine dégagent une position approuvée par le plus grand nombre et d’abord par la base. Dans le syndicalisme, si les majorités sont trop courtes, cela ne marche pas ! »

Cela explique en partie pourquoi certaines questions de fond, à l’instar du nucléaire (secteur où la CGT est forte) ou de la décroissance, voire du productivisme en général, ne parviennent pas encore à l’échelon confédéral. Même si quelques voix y font parfois allusion, mais plutôt timidement, du fait du poids dans l’appareil de ces grosses fédérations que sont, entre autres, l’énergie, la chimie ou, parmi les services publics, celle de la Défense nationale. Cependant, sur la question environnementale, si la CGT a confirmé dans ses statuts, lors de son précédent congrès, toujours se battre « pour une autre société et contre le capitalisme », elle s’est aussi déclarée – de façon novatrice – en faveur d’un « développement humain durable ». Mais bien peu de choses concrètes jusqu’ici transparaissent, au-delà de cette simple invocation…

Membre de la Commission exécutive confédérale, Mohammed Oussedik coordonne la campagne en faveur des 32 heures, mais il est surtout en charge du secteur de l’industrie. Il reconnaît volontiers que son action porte moins sur les questions environnementales que sur « la conquête, pour les représentants des salariés dans les comités d’entreprise – ou d’hygiène et de sécurité –, de droits d’intervention par rapport à la gouvernance des sociétés, ou de proposition de stratégies alternatives de développement industriel. Nous demandons aussi à pouvoir contrôler l’utilisation des aides publiques, trop souvent mésemployées, jusqu’à pouvoir obtenir leur suspension ». Or, l’entrée en vigueur prochaine des lois Rebsamen, qui prévoient la fusion des instances de représentation des salariés en une future Délégation unique du personnel, lui fait craindre que les salariés élus soient littéralement débordés en se retrouvant à devoir gérer tous les dossiers.

Enfin, la CGT s’investit depuis quelques années contre l’extrême droite, consciente de l’attraction croissante du Front national auprès d’une classe ouvrière de plus en plus précarisée. En particulier depuis « l’affaire Engelmann », du nom de ce militant mosellan qui a rejoint le parti lepéniste en 2010 et s’est fait élire maire FN d’Hayange en 2014 – et que la CGT a exclu avec plusieurs dizaines de militants ayant adhéré comme lui au FN.

Pascal Debay, secrétaire général de l’Union départementale de la Meurthe-et-Moselle, coordonne au niveau confédéral la campagne contre l’extrême droite. Il souligne les efforts menés : « Vu le désert politique dans certains endroits, nous menons un travail d’éducation populaire où nous décryptons les discours du FN, notamment en matière économique et sociale. Et lorsque nous découvrons qu’un militant est au FN, nous lui demandons de choisir, ou alors nous lançons une procédure d’exclusion. C’est un combat quotidien pour nous. »

Travail
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