La folie des primaires
Malgré la crainte d’une absence au deuxième tour de la présidentielle et le rejet du gouvernement, la gauche affiche son désaccord sur le périmètre de sélection d’un candidat pour 2017.
dans l’hebdo N° 1399 Acheter ce numéro
Yaurait-il autant de primaires que de candidats potentiels ? Trois mois après l’appel pour une primaire des gauches et des écologistes lancé dans Libération (11 janvier) par une cinquantaine d’intellectuels et d’élus, il n’y a guère que le quotidien de Laurent Joffrin pour croire encore possible une primaire qui irait du PS au PCF en passant par EELV. L’affaire est si mal engagée qu’il est peu probable que le Forum citoyen, coorganisé le 16 avril dans un théâtre parisien par Libération et les initiateurs de « Notre Primaire », parvienne à la relancer.
Pour justifier leur démarche, ces derniers avancent un argument, et un seul : divisée, la gauche risque d’être éliminée au premier tour ; pour accéder au second tour, il faut qu’elle se rassemble derrière un candidat commun. Au vu des résultats des élections régionales, départementales ou européennes, l’hypothèse est plausible. Mais de quelle gauche parle-t-on ? Peut-on encore qualifier ainsi la politique du gouvernement et ceux qui la soutiennent ? Suivant la réponse apportée à cette question, plusieurs primaires sont envisagées.
La primaire des gauches et des écologistes
C’est la formule prônée par les initiateurs de l’appel « Notre Primaire », qui souhaitaient contraindre par une pression citoyenne toutes les formations de la gauche (entendue au sens large) et les écologistes à se rassembler derrière un candidat commun. La pression n’a pas suivi. À ce jour, malgré un tapage médiatique et sondagier important, cet appel n’a recueilli que 80 900 signatures sur Internet. Un comité unitaire de préparation mêlant des initiateurs de l’appel et des représentants d’EELV, du PCF, de Nouvelle Donne, et du PS – Ensemble !, qui a assisté « en observateur » aux premières réunions, s’en est retiré –, a levé les premiers obstacles. Pas tous, loin s’en faut.
Certes, le conseil national du PS a réaffirmé samedi, dans une motion votée à l’unanimité, « sa volonté de voir la primaire de toute la gauche aboutir » ; il « suggère un vote dans la première quinzaine de décembre », comme le souhaitaient ses partenaires. Mais il y pose deux conditions : « Il rejette toute tentative de lui fixer un périmètre excluant a priori une des sensibilités de l’ensemble de la gauche » ; en clair, pas question d’en exclure François Hollande ou Manuel Valls. Enfin, « il demande […] que les candidats, et les partis qui les soutiennent, s’engagent à soutenir le gagnant ». Deux conditions que ni EELV ni les communistes ne semblent prêts à accepter.
Le parti écolo, dont le conseil fédéral a adopté ce week-end une motion (57 voix pour, 16 contre, trois votes blancs) qui se contente d’« accueillir avec intérêt » l’organisation d’une primaire de gauche, refuse de s’engager sur un soutien éventuel à François Hollande. Il « est disqualifié pour porter les couleurs de la gauche », estime pour sa part le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent (Le Parisien, 9 avril), pour qui faire de la primaire « une opération de recyclage du président sortant est une autre façon de la tuer ».
La primaire des idées
« Avant une primaire des candidatures, nous avons besoin d’une primaire des idées », ont lancé, dans une tribune publiée le 6 avril sur le site du JDD, des représentants qualifiés d’EELV, du PCF, de Nouvelle Donne, de la gauche du PS et de « La Primaire à gauche » [^1]. De fait, là où la direction du PS souhaite que la primaire désigne d’abord un candidat qui établira son programme ensuite, les formations représentées par les signataires de cette tribune souhaitent s’entendre sur un programme avant de choisir le candidat qui le portera. La motion votée par EELV exige ainsi la mise en place d’un « périmètre politique » qui obligerait le gagnant vis-à-vis des autres candidats. « Périmètre politique » qui serait déterminé dans des débats citoyens publics lancés dès la semaine prochaine. « Nous ne participerons pas à une primaire de casting où celui qui gagne décide de tout », avertit David Cormand, secrétaire national d’EELV. La direction du PCF souhaite pareillement que les débats citoyens permettent de définir « un socle commun », sur lesquel s’engageront les candidats.
La primaire de la gauche
Délimitée par une primaire des idées ou non, cette dernière rassembleraient les opposants au social-libéralisme. C’est le périmètre privilégié par Ensemble ! « Les forces politiques de gauche qui depuis des mois critiquent et contestent la politique du gouvernement ont la responsabilité de se mettre au service [du mouvement d’opposition à la loi travail] et de trouver les moyens de sortir de leur division », écrit François Calaret, l’un de ses responsables. Faut-il y inclure les frondeurs du PS ? Certains, à l’instar de Marie-George Buffet, dimanche sur France 3, notent que nombre d’entre eux ont encore approuvé, le 5 avril, la loi de modernisation de l’élection présidentielle qui, en handicapant un peu plus les « petits candidats », va verrouiller davantage la vie politique au profit du PS, de LR et du FN.
Les primaires « citoyennes ».
En réaction à ces jeux d’appareils, deux initiatives concurrentes cherchent à surfer sur le rejet des partis en chevauchant allégrement le clivage droite-gauche. Dernière en date, une coalition de six « mouvements citoyens, démocrates et républicains » a annoncé lundi le lancement d’une plateforme en ligne, « La primaire des Français » [^2], destinée à organiser une « primaire citoyenne » en France afin de choisir un candidat de la société civile, hors des partis : parmi les conditions à remplir pour candidater, il ne faut pas « avoir cumulé plus de douze ans de fonctions ou mandats politiques nationaux » et avoir « connu, pendant cinq ans au moins, la vie en entreprise ou un engagement associatif, social ou éducatif ». « En 2017, c’est un candidat de la société civile qui gagnera l’élection », s’emballe l’écrivain Alexandre Jardin, animateur de « Bleu Blanc Zèbre », raillant les primaires des « petits partis » dont le nombre de membres ne dépassent pas celui « de la Fédération française de pétanque ou de canoë-kayak » et appelant tout le monde à « se bouger le cul ».
La charge est assez cocasse si l’on veut bien y regarder quels sont les mouvements à l’initiative de « la primaire des Français ». Quatre au moins sont des partis de taille micro : Cap 21, de l’ex-ministre Corinne Lepage, Générations citoyens, du député européen Jean-Marie Cavada, Nous Citoyens, présidé par Nicolas Doucerain – souvent présenté comme le pendant de droite de Nouvelle Donne dans les médias –, et La Transition, fondée mi-janvier par Claude Posternak. Ce dernier est, avec l’architecte Roland Castro, le seul initiateur issu de la gauche – à la tête d’une agence de communication et de conseil stratégique, il a travaillé avec le PS, notamment sur la campagne de communication de la primaire socialiste en 2011 –, mais, comme Emmanuel Macron, il présente son mouvement comme étant « ni de droite, ni de gauche ».
L’idée de « la primaire des Français » est de « réunir » au moins 500 000 signatures, « une masse critique », pour faire démarrer le processus. Une autre initiative, baptisée « primaire.org », lancée mi-octobre par des « citoyens ordinaires », s’est donnée pour seuil 100 000 signatures sur Internet. Six mois après son lancement, elle n’a atteint que 23 % de son objectif.
Les réfractaires
Avec 90 000 soutiens qui commencent à se réunir et travaillent à l’actualisation du programme du Front de gauche de 2012, Jean-Luc Mélenchon n’a, pour l’heure, pas de raison de regretter son refus de s’engager dans le « piège » des primaires. Trois jours avant qu’il ne « propose » sa candidature, le Mouvement républicain et citoyen (MRC) avait investi Bastien Faudot, son porte-parole. Lutte ouvrière a fait de même avec Nathalie Arthaud, le 13 mars. Et le NPA a décidé de présenter à nouveau Philippe Poutou.
[^1] Il s’agit d’un appel lancé mi-janvier, notamment par Caroline De Haas et Elliot Lepers.