L’Allier sort de scène
Le département a décidé de couper les vivres à ses compagnies théâtrales. Celles-ci se sont regroupées en collectif pour ouvrir des négociations.
dans l’hebdo N° 1401 Acheter ce numéro
Décembre 2015. L’annonce du conseil départemental tombe comme un couperet pour les compagnies de théâtre professionnelles de l’Allier : suppression totale des aides au fonctionnement et à la résidence. « Un vrai coup de tonnerre » pour Dominique Bouyala-Dumas, chargée de production de la compagnie Footsbarn, près de Hérisson, village de cinq cents habitants. « À cette période-là, tout le monde avait déjà préparé le budget prévisionnel de l’année, alors apprendre qu’il n’y avait plus un centime pour nous, c’était une double punition », dit-elle.
Ce sera donc une année 2016 entre parenthèses pour une quinzaine de troupes. Même si le budget de la culture n’a diminué que de 6 % (près de 500 000 euros), pour atteindre environ 6 millions d’euros, la priorité va au musée, aux bibliothèques et aux enseignements artistiques. Jean-Sébastien Laloy, vice-président du conseil et chargé de la culture, justifie alors la décision du département en dédiant l’enveloppe théâtre à la mise en place de deux dispositifs : une aide aux festivals (320 000 euros) et à l’événementiel (150 000 euros). En clair, le soutien aux communes est maintenu, mais celles-ci ne pourront organiser qu’un festival par an, contre trois auparavant.
« Utiliser le mot “événementiel” et croire que ces aides compenseront la subvention prouve une méconnaissance de nos professions, affirme Bruno Bonjean, metteur en scène de la compagnie Euphoric Mouvance, à Bellerive-sur-Allier. Ce choix a été fait dans la précipitation et avec une visée électoraliste, car les aides aux communes ont quand même été sauvées. »
Plus qu’un serrage de ceinture, c’est un véritable sacrifice pour ce secteur qui participe au rayonnement touristique et économique de cette région de la « diagonale du vide ». Celle-ci est pourtant loin d’être un désert culturel. Plus de quarante compagnies ou associations de théâtre ont décidé de s’installer dans l’Allier. Un choix de vie et une volonté de pérenniser la tradition culturelle du coin.
En 1976, trois metteurs en scène et comédiens, Olivier -Perrier, Jean-Louis Hourdin et Jean-Paul Wenzel, créent les premières -Rencontres théâtrales de Hérisson. Ils se regroupent ensuite sous le nom des Fédérés et ouvrent un studio de création et de résidence, le Cube, puis le Centre dramatique national de Montluçon. Depuis, le bouillonnement dans l’ouest du département n’a jamais cessé.
Ce changement de politique culturelle a donc révolté le monde du spectacle vivant local. De cette colère est né le collectif ACT (Allier, culture, territoire). « Nous sommes montés assez vite au créneau pour discuter avec les élus de ces mesures aberrantes », raconte Claudine Bocher, chargée de production à La Belle -Meunière. Manifestations festives sur les marchés, messages d’information aux habitants, médiatisation… La situation prend rapidement de l’ampleur et les réunions de travail avec les services administratifs commencent en février. Mais difficile de négocier quand l’impasse budgétaire du département est une évidence.
Gérard Dariot, président du conseil départemental, annonce qu’il faut réaliser 17 millions d’euros d’économies, notamment à cause de la baisse des dotations de l’État. Conscient de cette contrainte, le collectif demande surtout que soit revue l’utilisation de l’enveloppe budgétaire. Première victoire symbolique : le retrait du mot « événementiel ». « Nous sommes restés sur un montant de 1 500 euros par commune, mais elles auront le choix entre organiser un festival et accueillir une résidence, explique Bruno Bonjean. D’après nos calculs, nous ne perdrions “que” 20 % des subventions. » Le fruit de ces négociations devrait être acté au mois de juin.
Malgré cette respiration financière, les dommages collatéraux restent considérables. Ainsi, la compagnie Footsbarn, réputée dans le monde entier, a perdu près de la moitié de son budget, ce qui l’empêche de faire tourner son spectacle comme prévu et de recruter une administratrice. De son côté, la nouvelle création d’Euphoric Mouvance ne pourra pas être montrée au festival « in » d’Avignon cet été, faute de moyens. « L’Allier est un endroit agréable à vivre, mais il est difficile de faire venir des diffuseurs, notamment pour les troupes de théâtre contemporain, avoue Bruno Bonjean. Alors jouer à l’extérieur, à Avignon, c’est forcément un plus pour la renommée, mais cela n’est possible que si nous en avons les moyens financiers. »