Leyla McCalla, sons-mêlés
A Day for The Hunter, A Day for The Prey, un album entre jazz cajun et tradition haïtienne.
dans l’hebdo N° 1398 Acheter ce numéro
Son premier disque, Vari-Colored Songs : A Tribute to Langston Hughes (2014), brillait par son intelligence musicienne et sa conscience socio-politique. Leyla McCalla entrait directement dans la cour des grands. À tout juste 30 ans, elle s’y enracine sans perdre une once de fraîcheur.
A Day for The Hunter, A Day for The Prey (proverbe haïtien signifiant « Un jour pour le chasseur, un jour pour la proie »), inspiré d’un passionnant ouvrage éponyme de l’ethnomusicologue Gage Averill sur les conflits de pouvoir à Haïti et leurs innombrables répercussions musicales, confirme le grand talent de Leyla McCalla, à la croisée des genres et des territoires humains. Née à New York de parents immigrés haïtiens, elle choisit de s’installer à La Nouvelle-Orléans, dont l’histoire et l’actualité lui offrent un fabuleux terrain de recherches musicales et identitaires.
La jeune femme s’interroge sur le passé de ses ancêtres haïtiens, « boat people [qui] chantaient leurs peurs et les péripéties de leur périlleux voyage en mer jusqu’aux États-Unis ». Le bouillon de culture louisianais, cœur de jazz en terre créole, suscite une nouvelle corrélation avec ses racines haïtiennes. Violoncelliste classique de formation, Leyla McCalla joue aux doigts. Elle passe ainsi sans ambages du banjo ténor à la guitare pour mieux revenir à son premier instrument, suivant la plénitude de son engagement. Son chant – en anglais, en créole haïtien et en français – porte la gravité sans élucubrations, avec la solennité du troubadour et l’acuité sensible du grand ethnologue.
À La Nouvelle-Orléans, la violoncelliste rencontre les cordes vives des Carolina Chocolate Drops, un groupe qui la conforte dans son exploration de la généalogie afro-américaine du sud des États-Unis. Après deux ans de tournée avec cette formation, l’heure du solo a sonné.
Imprégnée qu’elle est des sons du bayou louisianais, Leyla McCalla s’empare du répertoire traditionnel -haïtien et le fait sien. A Day for The Hunter, A Day for The Prey est le fruit de ce « chevauchement d’identités » qui la caractérise. À ses côtés, Free Feral à l’alto, Jason Jurzak à la basse et au soubassophone, Daniel Tremblay au banjo et à la guitare, et des invités qui ajoutent encore au charme. C’est ainsi que l’on peut entendre les riffs aventureux du guitariste Marc Ribot sur le traditionnel « Peze Café » ou la caresse du chant cajun de Sarah Quintana sur « Salangadou ».