Nuit debout : à Saint-Denis, l’urgence sociale au centre des débats
Alors que le mouvement veut s’étendre aux banlieues et aux quartiers populaires, les habitants de Saint-Denis ont organisé mercredi leur première Nuit Debout.
Plus de 200 personnes se sont réunis dès 18h pour la première Nuit Debout organisée à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), place de la Mairie. Avant l’heure du rendez-vous, des enseignants et parents d’élèves militants du quartier ont installé un espace pour les enfants : « Cela permet aux mère de famille de participer à l’AG », explique une des bénévoles.
Alors que la sono et les micros sont mis en place, les passants s’arrêtent pour lire les affichette déjà installées : une série de messages issus des réseaux sociaux témoignant des difficultés sur le marché de l’emploi, signés #Onvautmieuxqueça. À côté d’une banderole appelant à empêcher l’expulsion du squat L’Attiéké, un panneau invite chacun à répondre à une question ouverte : « Et pour vous, c’est quoi le travail ? ». Un premier homme s’approche, il confie ses inquiétudes. Un autre résume son propos en une phrase pour l’accrocher près des autres affichettes : « Que l’ouvrier ait un salaire pour pouvoir vivre dignement ».
Petit à petit, les gens s’installent autours du lieu de prise de parole. On s’assoit par terre ou sur des chaises. Des familles du quartier déposent leurs enfants à l’atelier jeux et dessins, pour pouvoir participer à l’assemblée générale. D’autres sont encore en costume de travail. Beaucoup s’approchent sans s’asseoir, curieux d’entendre ce qui se dit. Devant la diversité des témoignages, la plupart restent les écouter. « C’est la première fois que je vois ça ici ! confie une mère de famille, ça peut peut-être changer les choses de parler des problèmes tous ensemble. » Elle restera finalement plusieurs heures sur la place, et racontera elle aussi ses propres difficultés.
Mal-logement, délabrement des écoles, sans-papiers..
Une des premières à prendre la parole devant l’assemblée est une femme qui réclame du soutien pour être relogée, elle et sa famille. Mère d’une fille de 6 ans et d’un garçon de 15 ans, ce dernier ne peut plus passer le brevet depuis leur expulsion décidée à la fin de la trêve hivernale. Au bord des larmes, elle ne parvient pas à en dire plus. Le ton est donné. Une autre suit, Faouzia, qui a dû faire face au refus du 115 de lui venir en aide, alors que sa famille a dû quitter leur appartement parti en fumée lors d’un incendie. « On a eu droit qu’à une semaine payée par l’assurance, maintenant nous sommes à la rue alors que nous avions notre propre appartement! » Elle aussi craque à la fin de son intervention. Une autre sinistrée se sent elle aussi abandonnée : « Moi je n’ai pas d’enfants… et autant vous dire que les célibataires, on s’en fout ! »
Une déléguée syndicale de la maison de retraite des Lauriers vient prendre micro : « Des heures sup’ non payées, le personnel à bout… il faut qu’on parle de ces conditions de travail impossibles, cela dure depuis trop longtemps. » Une infirmière vient alerter l’assemblée des inégalités qui règnent dans la commune : « Deux ans de moins d’espérance de vie en Seine-Saint-Denis ! » Les enseignants et parents d’élèves suivent. Ils dénoncent la déliquescence des services publics, en particulier celui de l’éducation : « Nos élèves perdent en moyenne un an de scolarité faute de remplacement ! On ne se sent pas écoutés », et des structures scolaires délabrées dans le 93 : « Dans notre collège, on a de l’amiante, des fuites d’eau.. » « C’est une honte que, lorsque notre Président se vient à Saint-Denis, il n’aille qu’à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur. Les élèves du 93 sont discriminés depuis des années, mais François Hollande ne vient faire l’honneur de sa visite que dans cette école luxueuse… »
Plusieurs hommes sans-papiers prennent eux aussi la parole. Ils veulent dénoncer les conditions d’attributions de titres de séjour, et de régularisation : « Comment être régularisé lorsqu’on nous demande des fiches de paie alors qu’on ne nous embauche qu’au noir ? » Et un autre d’ajouter : « On fait tous les sales boulots mais nous n’avons aucune reconnaissance, on ne demande qu’un bout de papier pour pouvoir vivre normalement. » Une militante vient quant à elle alerter sur la situation des femmes sans papiers « totalement à la merci de leurs patrons ».
« Au moins on n’est pas seul chez nous à se catastropher »
« Il faut créer une convergence des luttes », réclame Maty, étudiant de Paris-VIII venus avec d’autres, aguerris par plusieurs semaines d’occupations des universités et de manifestations contre la loi El-Khomri. Ils sont venus dénoncer, entre autres, l’arrestation de l’un d’entre eux « placé en garde à vue sans motif ». Un homme vient prendre le micro pour ne dire qu’une chose : « Au moins, on n’est pas seul chez nous à se catastropher ! » La majorité de l’assemblée opine du chef.
Les débats continuent dans une ambiance bon enfant. On invite ceux qui veulent à se servir une assiette et un verre de jus de fruit mis en place aux abords de l’AG. L’intermède musical et le rap scandé par un duo de fille de 12 ans donnent à ce rassemblement des airs de fête de quartier. Mais très vite, les prises de paroles reprennent. Un premier vote est lancé sous la lumière du soleil couchant. Un rendez-vous est pris pour le mercredi suivant (21 avril), avec des propositions d’actions à la clef.
A VOIR >> « “Banlieue“, “bobos“… Nous devons effacer les frontières » A LIRE >> Éducation : La Seine-Saint-Denis se rebiffe
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don