Un amour de femme

Dans D’une pierre deux coups, Fejria Deliba met en scène une vieille Algérienne, mère de onze enfants, vivant en France depuis longtemps et rattrapée par son passé.

Christophe Kantcheff  • 20 avril 2016 abonné·es
Un amour de femme
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Après Fatima, voici D’une pierre deux coups, un autre film de fiction – le premier long de la comédienne Fejria Deliba – dont le personnage principal est l’une de ces femmes si peu visibles dans la société française, et si peu représentée au cinéma.

Zayane (Milouda Chaqiq, une comédienne non professionnelle, -slameuse depuis que Grand Corps Malade l’a lancée) est une Algérienne de 75 ans dont le mari est décédé à la suite d’un accident du travail. Une mère courage qui a élevé onze enfants, dont certains, quoique adultes, lui demandent encore nombre de menus services. Illettrée parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de faire des études dans son pays, elle sollicite sa voisine de palier pour lui lire un courrier. C’est un faire-part : un certain Chevalier vient de mourir.

Tout à coup, le passé lointain de Zayane la rattrape. L’homme décédé était son patron en -Algérie. Elle servait dans sa maison. Sa veuve a ajouté à la main sur le courrier que des objets l’attendent dans un carton : son défunt mari les gardait pour elle. Sans rien dire à personne, Zayane décide de se rendre chez cette femme, à 150 kilomètres de Paris, elle qui n’est plus jamais sortie de sa cité depuis qu’elle s’y est installée.

Le film développe dès lors deux histoires parallèles. D’une part, le voyage de Zayane : celle-ci, une fois perdue, a appelé son amie Amel (Brigitte Roüan), venue à la rescousse avec sa voiture. La virée prend alors des allures de road movie. Si sa destination est grave, son chemin est truffé de péripéties souriantes, grâce aux deux actrices qui forment un duo parfait. De l’autre, la réunion de tous les enfants de Zayane chez elle, inquiets de son absence, qui vont découvrir une part ignorée du passé de leur mère.

D’une pierre deux coups est un film d’une grande subtilité. Par petites touches, sans s’appesantir, il aborde une foule de questions très présentes dans notre société. Comme le poids de la mémoire de la colonisation, par exemple, qui se manifeste notamment lors de l’entre-vue entre -Christiane Chevalier et Zayane. Fejria Deliba montre aussi la famille de Zayane dans toute sa diversité, de caractères bien sûr, mais aussi de ressentis par rapport aux convenances, comme boire du vin, certains n’hésitant pas à s’en servir pendant le dîner, sous l’œil réprobateur de quelques-uns de leurs frères et sœurs.

Reste ce secret que Zayane gardait en elle : un amour de jeunesse, survenu juste avant le mariage forcé auquel elle a dû se soumettre. Et qui a perduré malgré son impossibilité, grâce à des films et des cassettes que les deux amoureux se sont envoyés clandestinement pendant des années. Une très belle idée que Fejria Deliba exploite intelligemment, à la mesure de ce film qui témoigne d’une grande -sensibilité.

Cinéma
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