Intermittents : en finir avec les préjugés
Les idées reçues sur les intermittents du spectacle sont nombreuses : profiteurs, fainéants, saltimbanques… Qu’en pensent les accusés ?
«Les intermittents sont des privilégiés qui profitent du système »
Pour bénéficier des indemnités de chômage versées par l’Assedic, l’intermittent doit justifier d’un nombre d’heures minimum. Il faut avoir déclaré 507 heures salariées au cours des 319 derniers jours pour les artistes et 304 pour les techniciens et les ouvriers. « Les 507 heures c’est un chiffre vitrine qui fait croire qu’on travaille trois mois pour être indemnisés dix mois et demi. Il ne faut pas oublier qu’il y a un temps de travail inhérent aux métiers de création qui ne peut pas être déclaré : les moment d’apprentissage de textes, de transport, certaines répétitions… On travaille beaucoup plus que certaines personnes salariées 35h par semaine », explique Manon, 34 ans, auteure et comédienne.
Créé en 1936 par les employeurs du monde du cinéma, le régime d’intermittence permettait à ces derniers d’avoir une main d’œuvre plus flexible en échange d’une protection sociale. Ce régime a rapidement été étendu à d’autre secteurs d’activités et est aujourd’hui très utilisé. Selon Pôle Emploi, au cours du troisième trimestre 2015, 53 000 employeurs ont employé au moins un salarié intermittent du spectacle relevant du champ d’application des annexes 8 et 10 de l’Assurance chômage. C’est 3,9% de plus qu’il y a un an.
Une réponse aux poncifs
« C’est pas en investissant chez les saltimbanques qu’on va sortir du chômage », « Certains artistes touchent plus en allocations qu’en revenus chômage », « Le régime de l’intermittence est très protecteur ! »... Voilà le genre d'a priori sur les professionnels du spectacle, souvent sous le régime de l’intermittence, que Vincent Edin s’amuse à déconstruire dans cet essai analytique publié en juin 2015. Le journaliste revient sur l'importance du rôle de l'intermittent au sein de l'activité culturelle française mais aussi, et surtout, sur la précarisation de son régime.
En finir avec les idées fausses sur les professionnels du spectacle, Vincent Edin, Ed. de l'Atelier, 160 pages, 8 euros.
Pour Manon, qualifier les intermittents du spectacle de privilégiés relève presque de l’indécence : « Il y a une vraie précarité de l’intermittence. On a un salaire minimum, aucune visibilité sur l’avenir et on est constamment en recherche de travail. Moi par exemple j’ai reçu un Molière il y a un an et aujourd’hui je n’ai plus beaucoup de travail. »
« Les intermittents coûtent cher »
Comme tous les travailleurs, les intermittents du spectacle cotisent à l‘Unedic. Ils reversent chaque mois 12,8% de leur salaire à la caisse de chômage (13,8% si l’accord sur l’assurance chômage passe) quand un salarié du régime général reverse 6,4%. « Il n’y a pas de caisse spécifique pour les intermittents. On cotise comme tout le monde à l’Unédic. L’assurance-chômage est en déficit donc évidemment on est concernés. Mais je ne pense pas qu’on coûte plus cher qu’un autre travailleur. Je pense même qu’on ne devrait pas être les seuls à bénéficier de ce régime là », affirme Manon.
Clément gagne 1.200euros par mois. « Je ne pense pas que ce soit quelque chose d’indécent, précise-t-il, la vraie question c’est à qui on coûte cher ? J’ai lu une étude qui montrait que si on se basait sur les bénéfices apportés à la société pour définir les salaires, le salaire du PDG devrait revenir au personnel de ménage. Les échelles de valeurs sont complètement inversées aujourd’hui! »
« Les intermittents sont des fainéants »
Pour Clément, cet argument invite à une redéfinition complète de la notion de travail. « On est salariés un jour sur trois. Mais le travail ce n’est pas que le salaire. Ces trois jours non salariés on ne les passe pas au lit à rien faire. Moi par exemple je travaille mon instrument, je cherche de nouveaux projets… Mes semaines ressemblent plus à des semaines de 60 heures que 35 heures ! ».
« C’est une autre façon de travailler que d’aller tous les matins au boulot à neuf heures, estime Noémie, 31 ans, scénographe et régisseuse plateau pour des compagnies de théâtre, c’est un autre mode de travail où il n’y a pas d’horaires, où on travaille au projet. Mais ça ne veut pas dire qu’on travaille moins, au contraire ! Nous, les petites compagnies, quand on est en création c’est 24h/24 et 7j/7. » La jeune femme, qui a l’habitude de travailler dans les milieux ruraux, compare son mode de travail à celui d’un agriculteur : « C’est à chaque fois un pari sur l’avenir. On met toute notre énergie et tout notre argent dans une production qui verra le jour un an plus tard. Si le produit est bon il se vendra et sera rentable, sinon il faudra faire avec et recommencer. C’est un peu comme un vigneron qui fait une mauvaise récolte. »
Léna, costumière, profite de ces jours non salariés pour travailler sur ses créations mais aussi pour chercher du travail _: « On doit sans cesse repartir à zéro. Aller à des rendez-vous, rencontrer des employeurs, prendre des contacts… Ça demande beaucoup d’énergie, c’est un travail à plein temps !_ »
« Les intermittents sont des rêveurs déconnectés de la réalité »
« Dire ça c’est déjà mettre de côté tous les techniciens et tous les gens qui ont un métier manuel ou administratif qui sont eux aussi intermittents »,précise Clément. Pour Nicolas, étudiant en école de cinéma, même les artistes ne rêvent pas bien longtemps : « Il n’y a pas un banquier qui est plus dans le monde économique que nous. Je monte actuellement une pièce de théâtre et je n’ai pas les moyens de faire appel à une boîte de production. Je dois tout gérer : penser le projet, calculer combien ça va coûter, aller chercher des fonds un peu partout… » Pour Noémie, la rêverie est à la base de son métier de scénographe mais il est très vite rattrapé par la réalité : « Pour qu’un projet naisse il faut d’abord le rêver. Mais pour qu’il survive, il faut le confronter à la réalité. »
Anthony 20 ans, étudiant en école de cinéma, veut devenir scénariste. Le jeune homme s’étonne de cette idée reçue : « On a l’impression qu’il faut souffrir de son métier. Des études montrent qu’une immense majorité des salariés ne sont pas heureux du poste qu’ils occupent. C’est une bonne chose de rêver et de se battre pour le métier qu’on souhaite exercer. »
« Finalement on est connectés à la réalité parce que, comme tout le monde, on doit manger, payer notre loyer et s’occuper de nos enfants. On a les mêmes problèmes que n’importe quel autre travailleur. Ce qui est différent c’est que nous on a le droit d’en parler. On peut même faire des spectacles dessus ! », ironise Noémie.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don