La fabrique de Nuit debout

Nuit debout invente de nouvelles formes de mobilisation et de démocratie. Avec la convergence des luttes comme base de réflexion, en France et au-delà des frontières.

Vanina Delmas  • 11 mai 2016 abonné·es
La fabrique de Nuit debout
© ERIC FEFERBERG/AFP

« Sí, se puede ! » Le poing levé, la voix forte et les mots justes, des Barcelonais venus partager leur ressenti avec les « Nuit-deboutistes » parisiens crient le slogan le plus populaire du mouvement des Indignés. Le « Yes we can » espagnol est repris en chœur par l’assemblée générale. « Nous devons lutter contre la création d’une Europe forteresse et l’avancée du néolibéralisme. Nous sommes tous ensemble dans ce printemps démocratique ! », lance l’une des porte-parole du groupe, face à la Marianne de la place de la République. Pas besoin de traduction pour comprendre la détermination et l’énergie qui s’élèvent de cette foule aux accents du monde entier, ce week-end des 7 et 8 mai.

Depuis plusieurs semaines, les commissions travaillent de concert avec des -Espagnols, des Italiens, des Allemands, des Belges, des Québecois et bien d’autres encore pour lancer la deuxième phase du mouvement. Objectif : une Nuit debout internationale le 15 mai (76 mars, selon le calendrier en vigueur), date anniversaire des Indignés en Espagne. Même si la majorité des personnes de Nuit debout tique à l’évocation d’un éventuel Podemos à la française, le mouvement dit du 15-M, né sur la Puerta del Sol à Madrid en 2011, reste une référence. D’ailleurs, certains de ses membres avaient déjà fait le déplacement dès les prémices de Nuit debout pour apporter de précieux conseils aux organisateurs, notamment en matière de communication.

Pendant ce week-end aux allures d’auberge espagnole, l’un des « workshops » s’est particulièrement concentré sur la formation d’un mouvement social transnational, notamment grâce aux réseaux sociaux. Twitter et Facebook n’étaient pas aussi présents il y a cinq ans, et tous sont conscients que cette « révolution européenne » dont ils rêvent ne pourra se faire sans la maîtrise des outils numériques. « L’idée sous-jacente est de calquer une Nuit debout numérique sur celle qui existe physiquement en créant un véritable réseau international, précise Joseph Boussion, membre du Media center. Si le mouvement s’essouffle ou s’arrête, on sera capables de le relancer simultanément dans plusieurs villes. » Une sorte de Nuit debout virtuelle, prête à ressurgir n’importe où, n’importe quand. Le hashtag #GlobalDebout a été adopté immédiatement pour rassembler et rendre visibles tous les événements du 15 mai à travers le monde (voir encadré p. 6). « Des activistes de toute l’Europe ont travaillé sur cette opération, mais il faut qu’elle se poursuive en juin, et qu’en septembre on puisse réoccuper toutes les places du réseau ! », lance Toret, un activiste espagnol, à la foule déjà conquise.

À les écouter, il semblerait que Nuit debout soit la forme la plus aboutie de tous les mouvements de protestation lancés ces dernières années contre les politiques d’austérité, la finance ou « la loi travail et son monde », comme on le dit sur la place de la République. Une vision bien plus positive que celle des observateurs qui reprochent à Nuit debout son manque d’efficacité et de perspective. Pourtant, ça cogite quotidiennement dans les groupes de travail pour faire évoluer les choses.

La commission Démocratie a ainsi conçu un nouveau processus de vote en trois temps, répartis sur une semaine : d’abord une assemblée des propositions, puis un atelier de consultation et enfin une assemblée des décisions. Pour la première étape, six propositions sont tirées au sort, soumises au débat puis au vote de l’AG. Carton jaune si on est pour, carton rose si on est contre. Un intervenant reproche inévitablement à la commission d’avoir imposé ce mode de vote, une autre aborde l’aspect concret des déclarations de manifestation en préfecture, qui ne reflètent pas la réalité citoyenne du mouvement, tandis que la commission Langue des signes française demande un soutien pour développer l’accessibilité des sourds à l’emploi. Cette dernière proposition mettra tout le monde d’accord. L’apprentissage de la démocratie en direct, avec ses ratés et ses imprécisions, mais qui a au moins le mérite d’être testé en toute transparence.

Ce projet imaginé sur le long terme est une nouvelle preuve de la détermination des Nuit-deboutistes à pérenniser leur modèle de société, sous la forme actuelle ou pas. Réinventer la démocratie, déconstruire les préjugés, se fabriquer une conscience politique pour les non-initiés… Ces missions invisibles de Nuit debout obligent à voir ce mouvement sur le long terme mais n’excluent pas de le considérer dans l’instant T comme un laboratoire citoyen. L’ambition est immense même si elle n’est avouée qu’à demi-mot : changer les mentalités. Et, pour comprendre ce mouvement, il faut accepter que quelque chose à l’intérieur de celui-ci reste insaisissable.

Société
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