La violence faite au pays

Notre pays, déjà terriblement éprouvé par les attentats de 2015, a les nerfs à vif. Mais à qui la faute ? Qui a mis dos au mur les syndicalistes, les salariés, les parlementaires et, pour finir, l’opinion publique ?

Denis Sieffert  • 25 mai 2016
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La violence faite au pays
© FRANCOIS LO PRESTI / AFP

À moins de ne pas avoir la télévision, de ne lire aucun magazine, de ne jamais surfer sur Internet, et de faire un détour pour s’épargner la vue d’un kiosque à journaux, il était impossible, ces jours-ci, de ne pas voir au moins une image de cette voiture de police en feu, incendiée par deux ou trois individus visiblement ivres de haine. Laissons donc la justice suivre son cours, à condition qu’elle n’en dévie pas en accablant de faux coupables, comme cela semble se dessiner. Mais interrogeons-nous tout de même sur l’exploitation médiatique de ces images. Il ne faudrait pas que cet acte détourne notre regard d’autres violences – policières en particulier –, ni ne nous fasse oublier un climat de tension généralisé qui peut conduire à toute sorte de réactions.

On peut toujours être choqué par les attaques contre les permanences d’élus socialistes, comme il y en a désormais tous les jours ; on peut aimer se faire peur en voyant d’autres images de brasiers sur des barrages routiers. Il s’en trouve même pour juger d’une insupportable violence le blocage des raffineries. Une « prise d’otage » des automobilistes, comme le répètent ad nauseam la droite et les caciques du PS. On se gardera pour notre part de ce genre d’amalgames. Non à « l’amalgame du feu » ! Même si cela fait de beaux reportages à la télévision ! Mais tellement trompeurs ! Rien de tout ça n’est comparable.

Et pourtant, il faut dire que ces actes, inhabituels dans une démocratie, témoignent tous d’un même climat. Notre pays, déjà terriblement éprouvé par les attentats de 2015, a les nerfs à vif. Mais à qui la faute ? D’où vient la violence initiale ? Qui a fait monter les enchères ? Qui a mis dos au mur les syndicalistes, les salariés, les parlementaires et, pour finir, une part sans doute majoritaire de l’opinion publique ? Cet exécutif, devenu le plus impopulaire de l’histoire de la Ve République, ne pouvait pas, après trois ans et demi de gouvernement, sortir de sa manche un projet de loi qui déséquilibre plus encore le rapport de force aux dépens des salariés. Il ne pouvait pas jeter aux orties le principe d’égalité et d’unité républicaine invoqué à tout bout de champ sur d’autres sujets. Mais alors, pourquoi tout ça ? Pour le comprendre, il suffit d’écouter le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, soutenant la loi El Khomri, mais affirmant que c’est bien « le minimum » [^1]. Pris dans une injonction contradictoire, entre le mandat qui lui venait du peuple et la pression européenne, François Hollande n’a pas hésité un seul instant. Dès la ratification du traité budgétaire européen, en juin 2012, il a dit où irait sa préférence.

Tout ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est que révoltes d’un corps social violenté. Il ne s’agit pas pour nous de juger les excès auxquels cette colère donne lieu. On peut simplement souhaiter qu’il n’y ait pas ici ou là de manipulations visant à retourner l’opinion en provoquant un réflexe de peur. On espère, mais on n’est sûr de rien… Car l’exécutif a deux têtes. À Hollande le néolibéralisme. À Valls la matraque. La matraque de l’état d’urgence reconduit et étendu aux simples citoyens ; la matraque du 49.3 ; et pour finir, la matraque tout court. En permanence un discours de défi qui hystérise la vie politique. Si l’on ajoute à tout ça l’impression d’une piètre manœuvre avec la direction de la CFDT, et le débauchage d’opposants potentiels (voir les coups portés aux Verts), on retire de cette situation la pénible impression d’une politique abîmée. D’une insincérité totale, et d’un désastre démocratique.

On peut toujours ensuite se « féliciter » que l’extrême droite n’ait pas gagné en Autriche, et brandir la menace du Front national ici, mais qu’est-ce que le Front national ? Une cause ou une conséquence ? En attendant, nous voilà dans une situation de blocage. La CGT a bon dos. Elle n’est sûrement pas à l’origine de cette pagaille. Heureusement qu’il se trouve des citoyens, à Nuit debout, dans les syndicats ou au sein de l’opposition de gauche, pour dire qu’on ne traite pas ainsi la société.

Le constat dressé ici est, j’en suis convaincu, largement partagé. Peut-être même jusque dans les cercles du pouvoir. Il s’est trouvé un membre du gouvernement, dimanche, pour estimer qu’il faut « revoir la façon dont on dirige le pays », et juger que « les impacts économiques et sociaux de la loi travail » auraient dû être mieux étudiés [^2]. Critique feutrée et aveu d’une faute. Quoi qu’il en soit, une seule conclusion s’impose : le retrait d’un texte qui risque de mettre le pays à feu et à sang.

[^1] Le Monde du 21 mai.

[^2] Le JDD du 22 mai. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, aux prises lui-même avec des coupes claires dans son budget et la colère des chercheurs.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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