Mobilisations : Le bras de fer se durcit

Alors que la mobilisation contre la loi travail perdure, même réduite, les grèves dans les raffineries et les transports amorcent une nouvelle phase du rapport de force avec le gouvernement.

Michel Soudais  • 25 mai 2016 abonnés
Mobilisations : Le bras de fer se durcit
© BORIS HORVAT/AFP

Détermination contre entêtement. La confrontation entre les opposants à la loi travail et le gouvernement s’intensifie. Les syndicats envisagent désormais de poursuivre leur mouvement après le coup d’envoi de l’Euro 2016, le 10 juin. L’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et FIDL, réunie au soir de la mobilisation du 19 mai, a annoncé une nouvelle journée de grèves, de manifestations et d’actions le 26 mai, et une manifestation nationale à Paris mardi 14 juin, date de l’ouverture des débats sur la loi El Khomri au Sénat. Mais, depuis la semaine dernière, c’est moins les défilés syndicaux que la multiplication des grèves dans des secteurs sensibles de l’économie qui suscite l’ire du gouvernement. À l’instar de Manuel Valls, les ministres se succèdent pour accuser la CGT, qui s’est engagée la semaine dernière dans un blocage des dépôts de carburant empêchant l’approvisionnement de nombreuses stations-service, de mener des grèves « illégitimes », d’exercer un « chantage », de « prendre en otage » le pays…

Mardi, à l’aube, dans les Bouches-du Rhône, une intervention policière particulièrement musclée a permis de débloquer le site pétrolier de Fos-sur-Mer, bloqué depuis la veille par des militants cégétistes : hélicoptère, drone, canon à eau, Flash-Ball… Malgré cette débauche de moyens, justifiée selon une source policière par la « résistance importante » des bloqueurs, deux heures auront été nécessaires pour « libérer » le site, suivant l’expression guerrière de Manuel Valls. Auparavant, les forces de l’ordre étaient déjà intervenues sur plusieurs des 189 dépôts de carburant bloqués ces derniers jours par les salariés du secteur.

Ce qui n’a pas empêché le mouvement de gagner les raffineries. Ce même mardi, Emmanuel Lépine, secrétaire fédéral de la branche pétrole de la CGT, annonçait que la grève était votée dans les huit raffineries de France. Deux jours plus tôt, elles n’étaient que quatre. En grève aussi, le personnel des terminaux pétroliers du Havre, qui assurent 40 % des importations françaises et l’approvisionnement des aéroports de Paris. Et ce n’est pas le seul secteur à se mobiliser. Alors que des préavis de grève reconductible affectent partiellement la SNCF ou La Poste, la RATP devrait être touchée à compter du 2 juin. Et le recul du gouvernement face aux chauffeurs routiers pourrait bien relancer la mobilisation dans ces secteurs.

Au quatrième jour de leur grève, l’exécutif a lâché du lest pour tenter de désamorcer le mouvement. Jeudi 19 mai, sur RTL, Manuel Valls accusait encore la CGT et FO, « deux organisations minoritaires dans le transport routier, d’attiser les inquiétudes en faisant croire que la loi travail mènerait à baisser la rémunération des heures supplémentaires des routiers » de 25 à 10 %. Une « contre-vérité » jurait-il, assurant que les routiers n’avaient « aucune raison de s’inquiéter, de manifester, de bloquer des raffineries, des ports, des aéroports ». Flagrant délit mensonge puisque le Premier ministre ne pouvait ignorer que l’article 2 du texte permet, par un simple accord d’entreprise ou d’établissement, de réduire la majoration des heures supplémentaires, sans toutefois que celle-ci soit inférieure à 10 %. Et si la loi ne menaçait pas la rémunération de leurs heures supplémentaires, pourquoi donc le ministre des Transports, Alain Vidalies s’est-il senti obligé de promettre, dans un courrier adressé le lendemain aux syndicats du transport, qu’en tout état de cause le « dispositif réglementaire dérogatoire » qui fixe leurs taux de majoration serait maintenu ?

Ce courrier a été accueilli comme une « très bonne nouvelle » par FO et la CGT. Mais il « ne règle pas tout ». C’est le cas de la question des heures de nuit, à partir de 22 heures dans la convention collective, de minuit dans le projet de loi El Khomri, pointe le secrétaire général de la CGT Transport, Jérôme Vérité, qui maintient l’objectif de retrait du texte. Le recul du gouvernement est surtout, à ses yeux, « un encouragement ». Alors que les aménagements accordés jusqu’ici par le gouvernement ne modifiaient qu’à la marge son projet de loi, la concession arrachée par les routiers ouvre une brèche dans le noyau dur du texte : l’inversion de la hiérarchie des normes, consacrée à l’article 2 et dont l’Assemblée nationale n’a même pas pu débattre. De quoi conforter la détermination des opposants à la loi travail, plus que jamais convaincus que le rapport de force peut faire plier le gouvernement.

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